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son voyage aura bien été, comme le dit son secrétaire, son désir d’» explorer » des régions de l’Europe qui lui étaient encore inconnues. Par là seulement s’expliquent aussi bien l’ensemble que maints détails de son expédition, telle que nous l’a décrite son fidèle secrétaire : avec ces tours et détours que nous lui voyons faire en quête de personnages intéressans ou d’objets curieux ; et son insistance à se rendre compte de tout ce que les pays qu’il traverse ont à lui offrir d’un peu remarquable ; et l’habitude qu’il a d’acheter, pour son palais de Rome, toute espèce de produits de l’art ou de l’industrie de chacune des régions où le conduisent les hasards de sa route. Si l’on a pu dire de Pétrarque qu’il avait été « le premier des modernes à entreprendre des voyages pour le seul plaisir de voyager, « le cardinal d’Aragon nous apparaît comme le digne héritier de ce goût, tout « humaniste, » du poète toscan. Les plus grands princes ont pour lui moins d’attrait qu’un beau paysage, une église fameuse, ou le progrès commercial d’une riche cité ; et le même homme qui, en Allemagne, refuse de sacrifier cinq ou six journées pour aller « présenter ses devoirs » à l’empereur Maximilien, n’hésite pas à prolonger son voyage de plusieurs semaines pour se mettre au courant, par exemple, des mœurs de la Hollande, ou des particularités physiques du flux et du reflux sur les côtes de la Normandie et de la Bretagne.


Je ne puis songer, malheureusement, à le suivre ici dans tout le détail de son « tour » d’Europe. Tout au plus vais-je essayer de résumer très rapidement la partie de la relation de Beatis qui nous touche du plus près, c’est-à-dire celle qui nous décrit l’état de la France dans la seconde moitié de l’année 1517. Et pourtant je ne résiste pas à la tentation de citer au moins quelques lignes des jugemens portés, par le chanoine napolitain, sur les conditions générales de la vie dans les deux grandes régions qu’il a étudiées avant de pénétrer en France, — l’Allemagne et les Pays-Bas : car, bien que notre voyageur enregistre toujours avec soin, au cours de son journal, toutes les réflexions que lui suggère la vue des villes et villages qu’il vient de visiter, il se croit tenu encore, au sortir de chacun de ces deux pays, — comme aussi, plus tard, au sortir de France, — de revoir d’ensemble tout ce qui l’a frappé le plus vivement, nous donnant ainsi, à trois reprises, quelque chose comme d’amples et très précieux « panoramas » ethnographiques, où achèvent de se révéler à nous ses dons singuliers d’observateur et de moraliste.

Le tableau de l’Allemagne débute par une peinture de la configuration