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reçoivent une pension moyennant le devoir de suivre la Cour pendant quatre mois de l’année ; et lorsque le gentilhomme a servi son quartier, il peut s’en aller, ensuite, où il lui plaît. Le plus souvent, les gentilshommes emploient ce loisir à se retirer dans leurs châteaux ou maisons, qui toujours sont entourés de bois pour la chasse, et où ils vivent à fort peu de frais. Lesdits gentilshommes sont affranchis de tout paiement et de tout impôt, tandis que les paysans, leurs sujets, sont exploités et pourchassés plus misérablement que des chiens ou de véritables esclaves achetés. J’ajouterai que gentilshommes et plébéiens, marchands et personnes de tout état et de toute condition, en un mot tous les Français, se montrent avides de s’amuser et de vivre gaiement, étant si adonnés au plaisir sous toutes les formes que l’on se demande comment il leur est possible de faire jamais rien de bon. Et pour en finir avec les gentilshommes français, je dirai que tous, avec le grand nombre de prérogatives, privilèges et grâces dont ils sont comblés, peuvent remercier Dieu plus que leurs pareils des autres pays : — car ils sont assurés, du moment que la nature les a fait naître gentilshommes, de ne jamais risquer de mourir de faim, ni d’avoir à remplir de vils métiers, ainsi que font la plupart des nobles de chez nous, dont bien peu vivent en vrais gentilshommes...

Les villes ou villages desdites provinces sont loin d’avoir la beauté de ceux d’Allemagne et de Flandre, aussi bien sous le rapport des places et rues que pour ce qui est des maisons et autres édifices publics ; mais on y voit généralement de très belles églises ; et il n’y a pas en France une église un peu grande où, toute l’année, l’on ne puisse entendre de belle musique figurée, et où ne se chante au moins une messe par jour. Chacune de ces églises possède un groupe de six ou de huit jeunes garçons, tous vêtus de rouge, comme nos chanoines italiens, et que l’on instruit à chanter et à servir au chœur...

Les morts, à l’exception des nobles et des riches, sont enterrés en dehors des églises ; mais ce qui est bien pis encore, c’est que les cimetières ne sont point clos de murs, de sorte que vous voyez, dans les villages, des tombeaux épars, comme si les morts qui y reposent étaient des juifs, et non des chrétiens... Partout la justice est pratiquée à grande rigueur ; et toutes les routes sont plantées d’un nombre infini de potences, toujours abondamment fournies... Telles sont quelques-unes des particularités de ce pays de France ; mais je ne dis rien ici de beaucoup d’autres, que j’ai été amené ù noter, déjà, au fur et à mesure de mon récit précédent.


De ces « particularités » signalées antérieurement, la plus fâcheuse à connaître pour nous est celle que le bon chanoine a eu l’occasion d’observer, à ses dépens, dans un certain village des environs de Gaillon, où il passait la nuit en compagnie de son maître. « Dans ce lieu, vers une heure de la nuit, nous dit-il, quelqu’un m’a volé, de l’arçon de ma selle, la bougette que j’y avais attachée, contenant, avec divers objets d’usage, des papiers, et une somme d’argent que je me rappelle fort bien avoir monté à une dizaine de ducats. et, de même que j’ai eu