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remplir très honnêtement, cette fois comme toujours, son métier d’observateur des hommes et des choses : si bien que les longues pages qu’il consacre à nous décrire le Paris d’alors abondent en renseignemens des plus intéressans :


A l’intérieur de la ville, le fleuve se divise en plusieurs bras, tous navigables, et sur lesquels s’élèvent cinq ponts, dont trois de pierre, et deux de bois ; et sur ces ponts, d’un côté et de l’autre, sont bâties des maisons qui suivent la ligne de la rue à tel point que l’on a peine à savoir où les ponts commencent et finissent... Les droits d’entrée desdits ponts appartiennent au Roi, et forment un revenu considérable.. Quant aux maisons, la plupart sont de bois, mais grandes, commodes, et bien entendues. Les rues sont souvent trop étroites, sales et boueuses au possible, et, avec cela, toujours traversées de tant de voitures qu’il y a plus de péril à y chevaucher qu’à naviguer par les Syrtes de Barbarie. Lesdites rues et toutes les places sont pavées de grandes pierres noires... Et, sur toute l’étendue de la ville, les gens se livrent publiquement aux métiers les plus divers, hommes et femmes, de telle façon que je ne crois pas qu’il y ait au monde une ville qui possède même la moitié des métiers de celle-là ; sans compter qu’on y étudie également toutes les sciences, à l’exception de la nécromancie, qui est interdite... Parmi les hommes les plus remarquables de ladite ville, je nommerai seulement : Jacques Faber, doctissime en toutes facultés grecques et latines ; Guillaume Budé, conseiller royal, et qui, encore qu’il soit légiste, a également écrit sur d’autres sujets ; Cop, médecin du Roi, parfaitement versé dans l’une et l’autre langue ; et enfin le bibliopole Estienne, homme très savant et de bonne vie.


Et voici enfin, — pour citer au moins un échantillon des remarquables portraits qui, presque de page en page, s’entremêlent au récit du chanoine italien, — voici en quels termes Beatis nous dépeint le jeune roi François Ier et sa famille, rencontrés à Rouen, immédiatement après l’arrivée en France de nos voyageurs :


La reine Claude est toute jeune ; et bien qu’elle soit petite, laide, et très boiteuse des deux hanches, on la dit éminemment bonne, libérale, et pieuse. Le roi son mari, tout en étant très adonné à la luxure, et encore qu’il pénètre volontiers dans les jardins d’autrui, et ne se refuse pas de boire l’eau à diverses fontaines, n’en garde pas moins tant de respect et d’honneur pour la susdite reine, sa femme, que l’on m’a affirmé qu’il n’a jamais manqué une nuit à dormir auprès d’elle... Sa mère est une princesse de très haute taille, encore belle de teint, et pleine de vie. Toujours elle accompagne son fils, avec la jeune reine, et il est facile de voir qu’elle exerce sur eux un pouvoir absolu. Le roi lui-même est grand et fort, avec bon visage, et l’humeur la plus gaie et la plus aimable ; on s’accorde à le trouver fort bien fait, quoiqu’il ait le nez trop fort, comme aussi, au jugement de monseigneur le cardinal, des jambes un peu minces pour un corps aussi grand. Ce prince a une véritable passion pour la chasse, et se