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et cette tâche était, là-bas, la mise en valeur de richesses prodigieuses. Elle s’imposa dès le début. Les premiers colons eux-mêmes, venus dans une intention bien différente, les puritains du Yorkshire, qui abandonnèrent leur refuge de la Hollande pour sauvegarder leur langue et résolurent de transporter l’Angleterre par delà l’Océan, se trouvèrent contraints de se mettre à l’œuvre et d’obéir, si l’on peut dire, à cette sommation. Ils débarquaient sur une terre aux immensités disponibles, qui ne leur présentait rien, mais qui leur promettait tout. Elle invitait au travail, et le pionnier n’avait qu’à avancer pour conquérir. La propriété s’étendait devant lui, libre, indéfinie, offerte à son seul effort. Il se constitua bientôt, sur les divers points du territoire où s’étaient établies les colonies, des sociétés dominées par les conditions économiques, comme, dans d’autres circonstances et sous l’empire d’autres nécessités, il s’était formé des sociétés de type militaire ou théocratique. Mais c’est le développement de l’industrie, avec les progrès de la vapeur, de l’électricité, la découverte des mines, qui devait décupler l’expansion de l’énergie, de l’initiative, de l’audace. Un monde inexploité attendait la main et l’esprit de l’homme. L’homme répondit à cet appel.

Rien ne venait l’en détourner. Le passé n’était point derrière le présent, avec ses exigences et ses complications de toute sorte : intérêts contraires à concilier, passions à ménager, rancunes à assouvir, injustices à redresser, inégalités à supprimer. Nul héritage ne pesait sur les mains libres des travailleurs. Le sens de leur activité ne se trouvait point déterminé par des directions antérieures et leur effort se tournait spontanément vers l’avenir, s’orientait naturellement vers l’œuvre nécessaire. Dans de telles conditions, il est facile de vouloir et d’agir. La volonté et l’action se concentraient sur une seule lin : la production de la richesse. C’était une condition primordiale de vie avant d’être une ambition. C’était l’ultimatum de l’instinct de conservation, l’équivalent du souci de la défense extérieure chez les peuples environnés d’ennemis ou de rivaux. Les colons de la Nouvelle-Angleterre ne connaissaient pas ce souci, que devait ignorer jusqu’à nos jours la grande nation à laquelle ils ont donné naissance. La jeune République n’eut donc point à défendre, ni même à garder des frontières qui reculaient devant ses progrès. Les circonstances donnaient à ses rêves un tout autre