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rebours ; et, comme gage territorial de cette situation éminente dont elle s’emparait dans l’Orient méditerranéen, elle avait arraché au Sultan le droit d’occuper et d’administrer l’île de Chypre.

Ainsi munis et s’enorgueillissant de cette combinaison imprévue, les ministres anglais s’étaient crus les maîtres des événemens et s’étaient persuadés qu’ils avaient contre-balancé, au profit de leur pays, les avantages obtenus par les autres puissances.

L’idée était toute personnelle à lord Beaconsfield. Dès 1847, il avait écrit dans Tancrède : « Les Anglais ont besoin de Chypre, et ils le prendront comme compensation. Ils ne feront pas les affaires des Turcs, de nouveau, pour rien. Ils ont besoin d’un nouveau marché pour leurs cotons. L’Angleterre ne sera jamais satisfaite jusqu’à ce que la population de Jérusalem porte des turbans en calicot[1]. » C’était poser une double candidature à la fois à l’héritage de Chypre et de la Palestine. Depuis 1847, la France s’était attachée tout particulièrement aux affaires des Lieux-Saints et du Liban ; les « réserves » de M. Waddington empêchaient que cette question fût abordée au Congrès.

Restait donc Chypre. Telle fut la genèse de la prise de possession de cette île : elle fut expliquée et justifiée, pour la galerie, par la circulaire du Foreign Office, datée du 30 mai 1878, qui donnait la convention relative à Chypre comme une « convention de précaution. »


La seule mesure qui puisse fournir une garantie substantielle pour la domination ottomane dans la Turquie d’Asie… est un engagement, de la part d’une puissance assez forte pour l’accomplir, que tout nouvel empiétement par la Russie sur le territoire turc, en Asie, sera empêché par la force des armes. Un pareil engagement, s’il est contracté complètement et sans réserve, empêchera la réalisation d’une telle éventualité et donnera en même temps aux populations des provinces asiatiques la confiance nécessaire que la domination turque en Asie n’est pas destinée à une chute prochaine…


Les deux « précautions » prises par l’Angleterre contre l’expansion slave sur les domaines du Sultan apparaissent en pleine lumière. En Europe et sur terre, c’est la constitution de la Roumélie orientale détachée de la grande Bulgarie, avec défense militaire, par la Turquie, de la chaîne des Balkans ; en

  1. Cité par Baron d’Avril, le Congrès de Berlin (p. 351).