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A Madame de Lessert, née Boy de La Tour, à Lyon.


A Paris, le 23 août 1714.

J’ai reçu, chère cousine, avec la plus douce joie les nouveaux témoignages de vos bontés et de votre amitié pour moi, et dans les bonnes nouvelles de votre santé, de celle de la maman, du cher mari, de vos chers enfans et de toute la famille, la confirmation de celles que j’avais apprises de temps à autre par M. Rigot ; la vérité, la force de mes sentimens pour vous me donnait sur la constance des vôtres une sécurité qui ne pouvait me tromper ; la confiance de l’amitié fondée sur l’estime n’est jamais inquiète. Je vous sais gré de nourrir l’espérance que vous m’avez donnée de vous voir quelque jour à Paris ; je vous en saurai bien davantage encore de la remplir le plus tôt qu’il sera possible, et de procurer à mon cœur une des plus douces consolations qui puissent encore le flatter[1].

Je ne suis pas surpris que la nature que vous vous appliquez à seconder accélérant les progrès de vos petits bambins vous fasse déjà sentir la nécessité de leur donner un guide sous les yeux d’un père qui serait certainement le meilleur, mais qui ne peut pas tout suivre. Sur les dispositions où il me paraissait être j’aurais cru votre choix déjà fait : s’il ne l’est pas encore, j’insiste sur l’importance de préférer un naturel heureux à de grandes connaissances et un homme sage à un homme instruit. Je ne le redirai jamais assez, la bonne éducation doit être purement négative, il s’agit moins de faire que d’empêcher ; le vrai maître est la nature, l’autre ne fait qu’écarter les obstacles qui la contrarient, l’erreur même n’entre qu’avec le vice, et toute bonne judiciaire a sa source dans un cœur sain. L’éducation de l’enfance ne consiste qu’en bonnes habitudes à prendre. Un enfant qu’on n’a pas laissé engourdir dans la paresse ni contracter des passions vicieuses, parvenu sain de cœur et de corps à douze ans, fait alors plus de vrais progrès en deux ou trois ans dans les connaissances utiles et même agréables, qu’on n’en peut

  1. Le passage qui suit a été cité dans l’Éloge de Benjamin de Lessert, académicien libre, par M. Flourens, secrétaire perpétuel, le 4 mars 1850, à l’Académie des Sciences. Paris, Didot, 1850. Le même passage a été reproduit, tel quel, dans l’ouvrage : Famille de Lessert, Souvenirs et portraits, par M. Gaston de Lessert (1904, non mis dans le commerce).