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du Carnate. Celui de Vichnou est une ville véritable avec ses rues, ses boutiques, ses maisons où vivent vingt-cinq mille Hindous de toutes castes. Il est dédié à ce Vichnou Ranganaden pour qui le Rajah Desing, immortalisé par la ballade de Genji, nourrissait une si aveugle dévotion. Sept enceintes concentriques enserrent son sanctuaire d’une antiquité fabuleuse, et c’est un des lieux saints les plus vénérés de l’Inde dravidienne. L’enceinte extérieure, haute de sept mètres, épaisse de deux, en a seize cents de tour. Sa porte est surmontée d’un gopura massif qui regarde Trichinopoly. Un autre s’enlève à quarante mètres, d’autres encore, plus humbles, s’étagent, se succèdent, au-dessus du labyrinthe où les mandapams sont reliés par les galeries, où les étangs, les cloîtres, les chauderies constituent un échiquier à cases inégales dont les interstices sont remplis par les échoppes des marchands.

De la muraille extérieure, les partitions verticales, en façon de pilastres issus de culs-de-lampe circonflexes, alternent symétriquement avec les repos dont l’appareil régulier disparaît sous un abominable badigeon clair. Ces pilastres, en très bas-relief, ainsi étages, rompent la tradition indienne pour rentrer dans ce style dit « jésuite » auquel l’ordre de mon vénérable guide fut, d’ailleurs, bien étranger, et qui sévit en Europe durant la première moitié du XVIIe siècle. La tradition locale attribue ces pauvres agrémens d’architecture à des Européens. Cette tradition n’a rien de chimérique, si l’on tient compte de ce que les gens d’Occident apportèrent en prenant pied dans le Maduré dès la fin du XVe siècle, ainsi que je vous l’ai déjà dit.

Quoi qu’il en soit, les pagodes de Sriringam, celle de Vichnou Ranganaden comme celle de Çiva Jambukiswara, ont été pour moi la plus cruelle des désillusions. Désillusion d’ailleurs prédite ! La surveille de mon départ, je dînai chez le Gouverneur de Pondichéry avec le général Bailloud, qui s’en allait vers l’Indo-Chine après avoir traversé toute l’Inde, en touriste. Il me prédit que les temples de Sriringam, dont je parlais avec un enthousiasme sincère sur la foi des auteurs et des photographies que je possédais, me donneraient la moins agréable des surprises. Les propos de cet observateur avisé n’ébranlèrent point la robuste confiance que je nourris dans l’excellence de l’architecture dravidienne : « Cet homme de guerre, me disais-je, en juge avec des yeux prévenus. Chacun sait que les