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Le Fanois avait reculé son fauteuil. Il se souleva à demi, avec un mouvement irréfléchi ; puis il se ravisa, et se rassit.

— Continuez, dit-il à voix basse.

— Elle était tellement émue, la pauvre chère petite, qu’elle avait de la peine à trouver ses paroles ; mais je devinais bien ce qu’elle voulait me dire, et je l’embrassai, en la priant de se taire et de se calmer. Alors elle me répondit qu’il lui serait impossible de jouir de son propre bonheur sans faire ce qu’elle pouvait pour assurer le mien. Elle me savait presque sans ressources, et ne supportait pas l’idée que je continuasse à vivre aux dépens des autres. Elle avait appris qu’en France une jeune fille ne peut guère se marier sans dot, et elle me pria d’accepter une donation quelle glissa dans ma main avec ses pauvres doigts brûlés de fièvre. Sa mine m’inquiétait déjà, et j’acceptai son cadeau avec un baiser, mais sans même jeter un coup d’œil sur le papier. Le lendemain, la pneumonie se déclara, et trois jours après elle était morte. J’avais serré le papier dans mon écritoire, et ce n’est que le jour qui suivit l’enterrement que je le regardai.

Elle s’arrêta un instant ; puis elle glissa sa main sous les dentelles de son corsage, et en retira une feuille pliée qu’elle remit à Le Fanois.

— Tenez, dit-elle d’une voix tremblante.

Machinalement le jeune homme déplia la feuille, et y jeta un coup d’œil étonné.

— Un million, un million… balbutia-t-il.

— Ma foi, oui. La richesse de ces gens est invraisemblable. Ils vous font des donations d’un million comme ils régleraient la note du boulanger.

Elle se tut, et leurs yeux se rencontrèrent.

— C’est comme dans les contes de fée, n’est-ce pas ? dit-elle avec un petit rire nerveux.

Le Fanois s’était levé, et lui avait remis le papier d’une main qui tremblait légèrement.

De nouveau, il y eut un silence entre eux. Il était allé s’accouder à la cheminée, tandis que la jeune fille demeurait assise, les mains croisées sur les genoux, la tête légèrement inclinée. Ce fut Le Fanois qui parla le premier.

— Comme je suis heureux pour vous ! Vous n’en doutez pas, n’est-ce pas ? dit-il d’une voix émue, mais sans se rapprocher de Blanche.