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une nécessité. » Et il ajoute : « Reconnaître un fait qu’on ne peut changer, ce n’est pas l’approuver, c’est uniquement s’adapter aux circonstances, indépendantes de notre volonté, en empêchant par cela même qu’elles ne deviennent plus dangereuses et nuisibles… La reconnaissance du roi Louis-Philippe Ier ne blesse pas le principe de la légitimité. C’est une usurpation qui le blesse… Quand un fait est accompli, c’est une réalité, qu’on ne peut méconnaître, quel que soit le jugement que l’on porte sur sa nature et celle des causes qui l’ont produit. »

Elle est touchante la crainte qui perce dans chaque ligne de ce rapport du mois d’août, que l’empereur Nicolas ne reconnaisse pas le roi Louis-Philippe et qu’une rupture entre la Russie et la France ne devienne alors inévitable. Instruit sur le caractère et la manière de penser de son souverain, le comte s’épuise en efforts pour prévoir les objections qu’on pourrait élever contre la reconnaissance du fait accompli. Il les combat de son mieux ; mais s’il craint les résolutions de l’Empereur, il n’est pas non plus sans appréhensions sur les entraînemens que le Roi peut subir. Ces appréhensions sont même chez lui si fortes qu’il se rend tantôt chez Louis-Philippe, tantôt chez le comte Molé pour leur signaler le danger. Il se fait un devoir de démontrer au Roi et à son ministre la nécessité impérieuse « de s’opposer à l’esprit de prosélytisme et à la fureur de porter dans les pays étrangers les doctrines qui agitent plus qu’elles ne régissent le sien. » Pozzo eut soin d’avertir le roi Louis-Philippe que si Paris devenait un centre d’agitateurs politiques qui, de là, se livreraient impunément à la propagande de leurs chimères révolutionnaires, il risquerait de perdre son trône. Pourquoi Louis-Philippe continue-t-il d’habiter le Palais-Royal ? « Le séjour du Palais-Royal, — écrit Pozzo au comte Nesselrode, — est, dans les circonstances actuelles, inconvenant et nuisible. Ce lieu horriblement célèbre est depuis quarante ans le foyer de toutes les révoltes, la sentine de toutes les immoralités. Le nouveau roi et sa Camille sont obsédés jour et nuit par une populace qui célèbre des orgies, chante des chansons révolutionnaires et débite des écrits et des estampes abominables. De temps à autre, ces gens demandent à voir le prince qui ne se refuse jamais à leurs insolentes importunités. Ces représentations n’ont pas encore cessé une seule fois depuis les derniers troubles… J’ai fait observer combien il serait convenable de