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privilège sur les autres. Faible qu’elle est, elle s’imagine que le passé de son héros pourrait lui porter malheur. Superbement Lohengrin lui répond : « Du premier regard j’ai cru à ton innocence et ton regard m’a reconnu du premier coup d’œil… Je t’ai prouvé ma noblesse par mon action ; tu dois croire à moi, sans autre preuve ! » Mais la terreur l’aveugle maintenant ; elle veut tout savoir, elle pose la question fatale. Le doute a été plus fort que l’amour. C’en est fait de la foi divine qui unissait la femme aimée à son sauveur. L’abîme est creusé entre eux… il faudra qu’il parte… et Elsa en mourra de douleur. Toutefois le chevalier du Saint-Graal n’aura pas inutilement traversé le monde des apparences. Il y laisse un sillon de lumière avec son souvenir.

Et qu’est-ce que le cygne représente dans ce drame ? Car, ésotériquement, tout y a un sens précis. Selon la légende, si intelligemment mise en œuvre par le poète, Ortrude, la mauvaise magicienne, a changé le frère d’Eisa en cygne pour pouvoir accuser la princesse du meurtre de son frère. Or ce cygne est celui-là même qui amène Lohengrin de Montsalvat pour sauver Elsa. A la fin du drame, Lohengrin lui rend sa forme première. Il sera Prince de Brabant. Cela ressemble à une bizarre imagination de conte de fées. Mais, comme beaucoup d’histoires merveilleuses, ce symbole recouvre une idée profonde. Le cygne, qui, par sa blancheur comme par sa forme ondulée, semble une mélodie visible, était, dans le culte d’Apollon, le symbole de l’inspiration. Il chante, disait-on, au moment de mourir, parce qu’alors, sa nature supérieure se dégage. Dans la tradition des Rose-croix du moyen âge, comme dans certains mystères antiques, le cygne représentait un degré de l’initiation, le passage de l’âme inférieure à l’âme supérieure. Le cygne, qui amène Lohengrin par les bouches de l’Escaut aux rives du Brabant, représente donc le disciple fidèle et reconnaissant qui amène le maître auprès de ceux qui ont besoin de lui. Ainsi tout s’accorde pour faire de Lohengrin un drame ésotérique aussi profond que lumineux.


II. — LA PÉRIODE PESSIMISTE. « L’ANNEAU DU NIBELUNG »

En 1853, Wagner lut un livre de philosophie récemment paru, qu’un de ses amis, le poète allemand Herwegh, lui avait