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insinuée jusque dans certaines sociétés de pêcheurs à la ligne, on ne peut guère s’étonner de voir des coopératives « jaunes » et des coopératives « rouges. »

L’histoire de cette séparation serait curieuse à écrire ; je ne puis l’entreprendre ici. Je me borne à constater que les progrès du socialisme ont rompu, depuis dix ans environ, l’unité coopérative ; et qu’à l’antagonisme des doctrines, raison peut-être secondaire du conflit, s’est ajoutée, dans les débats acrimonieux des congrès, l’influence prépondérante des personnalités.

Quoi qu’il en soit, cette attitude des socialistes, au premier abord, a de quoi surprendre. Le programme de la coopération indéfinie, de la « coopération intégrale » a été tracé, il y a une vingtaine d’années, par MM. de Boyve et Charles Gide, les chefs de l’Union coopérative ; il est connu sous le nom d’« Ecole de Nîmes[1]. » Or, ce programme, les socialistes l’acceptent ; et l’on doit même reconnaître que leurs sociétés s’engagent dans la voie « coopératiste » avec plus d’entrain que les sociétés « bourgeoises. » C’est parmi ces dernières que les théories de l’ « École de Nîmes » ont provoqué le plus d’enthousiasme ; mais c’est parmi les sociétés socialistes qu’elles ont déterminé le plus de sacrifices. Pourquoi donc, combattans de la même cause, les socialistes se refusent-ils à suivre la même bannière ? Comment, alors qu’ils illustrent par l’action le texte du programme bourgeois, s’efforcent-ils de l’amoindrir dans son application en repoussant systématiquement le concours de toute une classe de consommateurs ?

Il faut, disent-ils, savoir ce que l’on veut. Pour le prolétariat, le but suprême des efforts organisés est la suppression de la propriété individuelle par la socialisation des moyens de production, À ce point de vue, puisqu’elle doit entreprendre un jour la « production fédérale, » la coopération est excellente : les coopératives de consommation, le magasin de gros sont les champs d’expérience du collectivisme, les « Ecoles d’application, » où les travailleurs se rendront aptes à exercer les fonctions qui leur seront dévolues un jour par la Révolution triomphante. Et, dès la première heure, grâce à un prélèvement des bonis, ceux-ci y recueilleront des avantages certains : prêts

  1. L’Émancipation, revue du « coopératisme, » dirigée par M. de Boyve, est publiée à Nîmes ; de là le nom d’« École de Nîmes, » couramment en usage chez les coopérateurs français.