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s’adresser à la justice pour obtenir une rente de 62 francs[1]. A une des dernières Assemblées générales de l’Utilité sociale, on a discuté longuement la proposition du Conseil, de payer une demi-journée de repos hebdomadaire ; et elle n’a été adoptée qu’après une très vive opposition. « Est-ce que mon patron me paie, moi, quand je ne travaille pas ? » s’écria un des sociétaires, très applaudi par une fraction de l’Assemblée[2].

La « journée de huit heures » n’existe dans aucune coopérative ouvrière, sous le prétexte « qu’il est impossible de faire autrement dans les conditions actuelles ; » elle est partout de dix ou de douze heures. La véritable raison, c’est la crainte de mécontenter tout le monde pour satisfaire quelques employés, l’indifférence pour une amélioration dont on ne recueillerait pas le bénéfice. Presque tous raisonnent comme le sociétaire de l’Utilité sociale : « Est-ce que je travaille huit heures chez mon patron ? »

On sait avec quelle amertume les ouvriers de certaines usines se sont plaints de leur servitude politique ou religieuse. Au moins cette servitude est-elle à l’état d’exception ; mais dans les coopératives socialistes, elle est la règle. Récemment un ouvrier boulanger de la Bellevilloise a été congédié, non pour « sabotage, » mais en raison de ses « pratiques religieuses, » et une veuve, employée à la même Société, a été « remerciée, pour retard au retrait de ses enfans d’une institution cléricale[3]. » De telles exécutions sont rares ; mais il n’en faut pas conclure que la discipline anticléricale soit relâchée ; c’est au contraire la plus forte de toutes les disciplines. En traitant ainsi leurs employés, les coopérateurs socialistes ne croient pas être injustes. « Nous avons le droit, disent-ils, d’exiger que nos employés marchent d’accord avec nous. Nous ne voulons pas parmi nous d’ennemis de la classe ouvrière. Nous les payons bien, nous les faisons vivre largement, ils nous doivent de la reconnaissance. » Eternel langage, dont ni le socialisme, ni l’anticléricalisme ne sont les premiers auteurs, mais qu’ils ont emprunté, presque sans modifier les formules, au manuel de toutes les écoles intolérantes.

  1. La Bellevilloise : Compte rendu des Assemblées du 25 octobre 1903, p. 43, et du 15 mai 1904, p. 37.
  2. Compte rendu du 2e semestre 1906 de l’Utilité sociale, p. 17.
  3. Procès-verbaux des Assemblées du 5 novembre 1905 et du 27 novembre 1906.