Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 47.djvu/922

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

patron me fera une retraite ? » Telle est la pensée du plus grand nombre ; et l’on peut être assuré que si une loi des retraites ouvrières doit obliger les employeurs à verser une part de la cotisation totale à la Caisse des retraites pour la vieillesse, les coopératives socialistes ne l’auront pas appliquée par anticipation.

Parlerai-je de l’attitude des administrations coopératives vis-à-vis de leur personnel ? Les « camarades employés, » dont j’ai recueilli les nombreuses confidences, trouvent qu’elle est singulièrement dénuée de camaraderie ; et, soumis à tant de maîtres, ils se prennent à regretter le patron unique ; au moins, comme ils disent, « avec lui, on sait à quoi s’en tenir. » Les « camarades administrateurs, » qui ont subi, tout le jour, la discipline de l’atelier, sont bien aises d’affirmer leur pouvoir à la coopérative. Au hasard de leurs momens libres, parodiant comiquement les attitudes patronales, ils promènent leur caprice impérieux et fantasque dans toute l’étendue des magasins. L’habileté professionnelle d’un patron, la méthode invariable d’où ses ordres procèdent, font accepter, dans une certaine mesure, son autorité. Mais les employés de coopératives ne reconnaissent point la compétence commerciale à leurs administrateurs de hasard ; et ils en reçoivent à tout moment des ordres contradictoires : le joug leur paraît singulièrement plus dur. Aux Assemblées générales, deux fois l’an, ils sont mis sur la sellette ; mais leur existence quotidienne n’est guère plus douce. Loué par ceux-ci, blâmé par ceux-là, chacun, quoi qu’il fasse, est toujours sur le qui-vive ; sa situation ressemble à celle d’un ministre ; il est incessamment à la merci d’une saute de vent parlementaire.

Il semble, disait un jour un membre de l’Égalitaire en assemblée générale, « que les ouvriers soient plus rosses que les patrons[1] ! » L’expression est un peu vive ; mais il est certain que le sort des « camarades employés » est fort précaire. Ils ne se sentent pas entourés de bienveillance, ne sont même pas assurés de trouver la justice, et ne sont guère attachés à ces sociétés qui les « font vivre » et le leur font sentir si durement. Aussi le personnel de service est-il aussi instable que le pouvoir administratif. Les coopératives ouvrières recueillent sans cesse

  1. Procès-verbal de l’Assemblée du 10 décembre 1905, p. 14.