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élevé au-dessus de l’idée que nos pères se faisaient de lui. La vérité est que Breughel, durant sa courte, mais active carrière, a subi une évolution très profonde, qui, d’année en année, a transformé tout ensemble ses « inventions » et son « style : » après avoir, d’abord, expressément repris l’œuvre de Jérôme Bosch, et s’être conquis la faveur publique en qualité d’« amuseur, » il a dépouillé peu à peu ses premières habitudes de fantaisiste pour devenir un parfait évocateur de la vie populaire de son pays ; en même temps que sa manière de peindre, par un changement analogue, se délivrait des traditions et des formules, dorénavant surannées, du vieux style « primitif, » et commençait hardiment à pratiquer un langage artistique nouveau, déjà tout « moderne, » — l’admirable langage de lumière et de couleur qui, ensuite, allait servir de moyen d’expression à tous les peintres flamands et hollandais du XVIIe siècle. Et ainsi les contemporains du maître, s’étant accoutumés à rire devant son œuvre, comme ils avaient ri naguère devant celle de Jérôme Bosch et de toute l’école des « drôles » flamands, ont continué à ne chercher en lui que ce qu’il avait été au début de son art ; et nous, aujourd’hui, de plus en plus nous tâchons à découvrir, jusque dans les « drôleries » de sa première période, le vigoureux génie d’observation familière et de libre facture que nous révèlent les produits de sa maturité. Les éloges de Lampsonius, où celui-ci, sans doute, avait largement usé de l’hyperbole poétique, ne suffisent plus à nous satisfaire, en présence d’une œuvre aussi importante, et revêtue d’une signification historique aussi considérable. Nous n’admettons pas, à coup sûr, que l’auteur des Culs-de-jatte du Louvre soit égalé à Van Eyck, ni à Rubens : mais nous reconnaissons qu’il a été le principal intermédiaire entre les deux mondes différens qui se traduisent à nous dans l’art de ces deux-peintres ; et il nous apparaît que personne n’a contribué plus que lui à faire naître, sur les ruines des conceptions et du style issus de Van Eyck, la nouvelle atmosphère pittoresque dont devait s’imprégner, bientôt, le génie de Rubens.


Ce rôle capital de Breughel le Vieux, dans le développement de l’art de sa race, nous est fort heureusement attesté et expliqué par l’examen « chronologique » de ses dessins et de ses peintures. Sur les circonstances de sa vie, nous ne savons, en somme, que fort peu de chose : tous les renseignemens certains dont nous disposons se réduisent à ce que nous apprend un petit chapitre de Van Mander, le Vasari des peintres flamands et hollandais. Mais nous possédons une