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sujets « classiques » n’étaient point de ceux que goûtait le public ordinaire de ses acheteurs. Mais ce Kock lui-même, sans doute, n’aura pas encore eu l’idée, à ce moment, de rabaisser jusqu’au genre de la « drôlerie » l’habile et savant élève du successeur de Van Orley. Le fait est que, depuis quelque temps, la boutique de Kock se livrait à un grand débit de paysages gravés, représentant toute espèce de sites plus ou moins « alpestres, » avec de petites scènes mythologiques perdues parmi un vaste déploiement de montagnes neigeuses et de fantastiques ravins ; et il est bien probable, par ailleurs, que c’est uniquement en quête de paysages que le jeune Breughel, sitôt admis dans la gilde anversoise, s’en est allé explorer l’Italie. De tout son long séjour à l’étranger, entre 1551 et la fin de 1553, aucune œuvre ne nous est restée que des paysages, à peine semés, çà et là, d’une ou de deux figures. Paysages admirables de dessin et d’expression, — les plus beaux sont, aujourd’hui, au Louvre, — mais où l’imitation manifeste de Titien, et la vigoureuse ampleur du coup de plume, et la poésie, toute vénitienne, des sujets, n’ont rien assurément qui signale le prochain caricaturiste des Gros Poissons et des Péchés Capitaux. Jusqu’à son retour à Anvers, en décembre 1553, — et longtemps encore après ce retour, — Breughel, employé aux gages de Jérôme Kock, continue à relever de l’école classique des « italianisans : » dans le plus beau style « titianesque, » il dessine des paysages composites, presque toujours inventés sur le modèle des sites italiens ou tyroliens, mais entremêlés déjà, par instans, d’une observation familière de la campagne flamande. Et voici que, tout à coup, aux alentours de 1556, un premier changement s’accomplit dans l’esprit et le style de sa production : l’élève de Pierre Coeck, l’imitateur de Titien, l’élégant et délicat paysagiste des années précédentes, descend de l’école aristocratique dans l’école populaire, et, avec une fécondité et un entrain comique de plus en plus passionnés, se met à imiter expressément l’art de Jérôme Bosch !

Pourquoi ? Sans doute parce que Breughel a besoin d’argent, et que Jérôme Kock, qui l’exploite tout en le payant grassement, s’est aperçu que les plus beaux paysages ne valaient point, pour attirer la foule, une grosse farce bien salée, ou une Tentation de saint Antoine avec des diables d’une horreur amusante. Mais cette explication toute positive ne saurait nous suffire, pour peu que nous examinions, dans l’ouvrage de M. Van Bastelaer, la prodigieuse ferveur artistique, la fièvre d’invention bizarre et de dessin expressif, qui caractérisent les « drôleries » de toute cette période de la vie de