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plein combien cette princesse était allemande et peu française[1]. » Les indiscrétions de Madame, pour ne pas user d’un mot plus fort, furent le thème principal de l’entretien. Comme elle essayait de nier, Mme de Maintenon tira de sa poche une lettre arrêtée par la poste, et il fallut se rendre : Liselotte y annonçait à l’Electrice Sophie la ruine irrémédiable de la France. L’humiliation fut amère, les larmes brûlantes, d’avoir à implorer son pardon par le canal d’une ennemie abhorrée, qui profitait de l’occasion pour se plaindre avec politesse des injures de Madame. Finalement on s’embrassa, et Mme de Maintenon répondit du raccommodement avec le Roi, lequel, en effet, consentit à passer l’éponge[2]. Ce récit cadre avec tout ce qu’on sait d’ailleurs. Il est bon de lui comparer la version de Madame.

Le lendemain de l’entrevue, elle écrivit à sa tante combien elle l’avait pris de haut avec cette pauvre petite herbe de Mme de Maintenon : « Je lui ai… répété que j’étais très contente d’elle, et lui ai demandé son amitié. Je lui avouai… que j’avais été fâchée contre elle, me figurant qu’elle me haïssait et m’ôtait les bonnes grâces du Roi,… mais que j’étais prête à tout oublier, pourvu qu’elle devînt mon amie[3]. » La situation est retournée ; c’est à Mme de Maintenon à se faire pardonner. La suite est à l’avenant ; l’affaire des lettres tourne à l’honneur de Liselotte, que Louis XIV finit par « prier d’oublier le passé, » et l’ensemble du récit est criant d’invraisemblance. Le désir naturel d’avoir le beau rôle devant l’Allemagne a entraîné Madame à romancer, et personne ne lui en fera un crime ; mais on n’oubliera plus, en lisant sa correspondance, que diverses considérations y prennent le pas sur la vérité.

Nous rentrons dans la réalité avec une autre lettre de Madame, beaucoup moins glorieuse pour la fierté palatine. Le Roi avait comblé le Duc de Chartres de grâces et de pensions à la mort de son père. C’était son gendre, et puis, le Roi n’était pas sans remords ; il n’était pas bien sûr de ne pas avoir contribué à l’apoplexie de Monsieur par leur prise de bec de Marly. Madame écrivit à Mme de Maintenon : « Si je n’avais eu la fièvre et de grandes vapeurs, madame,… vous auriez eu plus tôt de

  1. Addition à Dangeau pour le 12 juin 1701. Saint-Simon s’est trompé en plaçant l’entrevue le 12 ; elle eut lieu le 11.
  2. Cf. les Mémoires de Saint-Simon, éd. in-8o, VIII, 349 et suite.
  3. Du 12 juin 1701.