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de musulmans, en général éduqués dans nos écoles, est entièrement exempte de fanatisme religieux (le sheïk-ul-Islam lui-même, le défenseur officiel de l’orthodoxie, passe pour un homme aux idées très larges et très libérales), il y a pour le moment, un abîme entre cette minorité et la masse ignorante. Il est incontestable que celle-ci nous hait, peut-être pour des motifs qui ne sont pas exclusivement religieux ; mais comment distinguer entre ces motifs, et comment abstraire la religion dans les sentimens d’un peuple pour qui la religion est tout ?

Tous les raisonnemens et toutes les protestations du monde n’empêchent point que la grande masse musulmane ne soit foncièrement hostile à l’étranger, qui est le Chrétien. Parbleu ! il est clair que nous, Européens, nous pouvons aller et venir dans une ville d’Orient sans risquer la moindre avanie. Ceux qui auraient envie de nous chercher noise savent trop bien ce qu’il leur en coûterait pour se passer ce caprice. Mais de quels yeux de haine on nous poursuit, principalement dans les quartiers qui avoisinent les sanctuaires les plus vénérés, et comme le silence méprisant qu’on nous oppose est significatif ! Je nie rappelle, comme si c’était hier, le regard furieux dont nie foudroya un soldat qui priait devant la fenêtre grillée d’un turbé, près de la mosquée Laléli, à Stamboul. Et pourtant, j’en suis sûr, mon attitude était aussi déférente et recueillie que dans un de nos cimetières, en présence de nos morts. Cette atmosphère d’hostilité, je l’ai sentie peser sur moi dans presque tous les quartiers populaires demeurés fermés à la pénétration occidentale, mais surtout aux environs de la mosquée Mehmet-Fahti et de la très sainte mosquée d’Eyoub. Pour ce qui est de celle-ci, on n’ignore pas que, jusqu’à ces derniers temps, l’accès en était jalousement interdit aux Chrétiens. Nul infidèle, assurait-on, n’avait pu encore en franchir le seuil. Lors de mon passage à Constantinople, quelques Jeunes-Turcs, voulant me démontrer leur libéralisme, prétendirent m’y entraîner, non sans toutefois m’avoir affublé du fez musulman. Nous dûmes renoncer à l’entreprise : un geste, une parole pouvait me trahir, et nous risquions d’être assommés par les dévots.

Même dans les mosquées habituellement visitées par les voyageurs, il faut voir avec quel dégoût les imams vous enfilent les babouches réglementaires. Nulle part je n’en ai rencontré d’aussi grincheux qu’à Sainte-Sophie. Les plus beaux bakchichs