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avec humeur : « Comme si les auteurs les plus médiocres ne Vendaient pas tout couramment leurs manuscrits sur le pied de 3 300 francs. Or Condillac vendit 675 francs le premier volume de l’Essai sur les connaissances humaines, Delille tira 900 francs de sa traduction des Géorgiques et Bernardin de Saint-Pierre 2250 francs de son Voyage de l’île de France. Un manuscrit n’était pas payé 3 000 francs, même à Diderot, qui vivait surtout de l’Encyclopédie.

En vécut-il bien ou mal ? Doit-on s’apitoyer sur la triste obligation où il se trouva de vendre sa bibliothèque (1765), achetée 110 000 francs par la Grande Catherine, qui tint à honneur de l’en laisser jouir sa vie durant ? Doit-on croire Linguet lorsqu’il traite cette vente de comédie et affirme que Diderot, dont l’indigence était simulée, gagna 450 000 francs avec les 35 volumes du recueil fameux dont il était le directeur appointé ? Humble traitement de 2 700 francs, mais distinct de la rémunération de ses articles personnels.


V

Si l’Encyclopédie fut pour les bailleurs de fonds une bonne affaire, ce n’a pas été en tous cas par l’importance du tirage : elle compta d’abord 3 000 souscripteurs, chiffre que Grimm regardait comme un prodige, et atteignit plus tard au maximum de 4 300. Cet effectif n’est pas à comparer avec la clientèle des dictionnaires analogues de nos jours ; mais chaque volume de l’Encyclopédie méthodique se vendait 52 francs. Au XVIIe siècle, la Pucelle de Chapelain se payait 100 francs in-4o et 60 francs « en petit papier. »

Une révolution s’est opérée de notre temps dans l’industrie typographique. Ce qui coûtait cher autrefois, — le papier et le tirage, — coûte aujourd’hui très bon marché ; ce qui coûtait bon marché, — la composition, — coûte cher aujourd’hui. Il en résulte que naguère il n’était pas très onéreux d’établir un livre, mais que le bénéfice ne s’accroissait pas avec un tirage à grand nombre ; tandis que maintenant les frais de composition se réduisent à rien pour peu que l’on multiplie les exemplaires. Et cette multiplication est possible par suite des presses à vapeur et de la pâte de bois ou d’alfa.

Au XVIIIe siècle, un fort tirage n’eût guère diminué le prix de