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revient ; il fallait donc coter le volume assez haut pour faire ses frais et réaliser quelque profit. Mais cette cherté même des livres contribuait à en paralyser la vente ; ce pourquoi, mathématiquement, les écrivains ne pouvaient pas gagner grand’chose. À ces raisons, inhérentes au métier de l’imprimeur et qui lui sont propres, s’en ajoutaient d’autres plus générales et qui tenaient à l’état social ancien : la lecture est un de ces multiples « luxes » de jadis, devenus des « besoins » depuis que nous avons la faculté de les satisfaire.

A la mort de l’éditeur Durand, qui publiait l’Histoire naturelle de Buffon, l’adjudication de son fonds de commerce nous initie au mécanisme d’une grande opération de librairie au XVIIIe siècle. L’édition in-4o avait été tirée à 3 000 et se vendait 36 francs le volume. Commencée en 1749, elle était parvenue quinze ans après au tome dixième. À cette date (1764) il restait en magasin 654 exemplaires des tomes 1, 2 et 3 ; 900 et 1 000 des tomes 4 et 5 ; 1 200 et 1 400 des tomes 6 et 7 ; 1 550 des tomes 8 et 9. Les honoraires des tomes 10, 11 et 12 sous presse, et sans doute ceux des tomes antérieurs, étaient de 15 750 francs par volume ; chiffre le plus élevé que j’aie rencontré, mais qui paraît moins prestigieux à la réflexion, puisque Buffon et Daubenton le partageaient avec nombre de collaborateurs subalternes, principalement pour les dessins dont l’ouvrage était rempli.

Les droits d’auteur représentaient presque 15 pour 100 du prix fort des 3 000 volumes ; mais le libraire demeurait propriétaire de l’ouvrage ; il comptait se récupérer par une édition in-12, commencée en 1752 et dont la vente marchait si médiocrement, à en juger par les stocks invendus, qu’il hésitait à la poursuivre. Bien qu’offertes en solde pour une somme globale de 202 000 francs, qui faisait ressortir le volume in-4o à 13 fr. 50 et l’in-12 à 2 fr. 25, les deux éditions ne trouvèrent pas acquéreur. Il fallut baisser la mise à prix ; ce qui indiquait chez les confrères du défunt peu d’enthousiasme pour l’entreprise. L’Histoire naturelle de Buffon demeura pourtant l’un des grands succès du siècle, et l’on voit combien son débit était faible et lent.

Au temps des premiers émules de Gutenberg, un tirage de 275 à 300 était le maximum de ce que risquait l’imprimeur, pour un classique de vente courante comme la grammaire latine de