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abeilles blanches couvre la terre, opulente et protectrice récolte.

En abordant ses Poésies d’intimité, une chose surprend : l’absence de passion. Peu de poèmes d’amour, et peut-être intenses, mais jamais tumultueux. J’ai cherché l’explication, et j’ai trouvé ces belles lignes qui, en même temps qu’elles montrent un esprit supérieur à son œuvre et capable de la dominer, illustrent la différence qui doit exister entre les lois qui régissent l’art et celles qui régissent la vie : « Oui, je contiens la passion dans mes vers ; je la réfrène et je la dompte. Car son heure ne doit pas être l’heure de l’art. Il faut choisir, pour l’expression des sentimens humains, non pas le moment aigu de la lutte, mais celui où le conflit s’ouvre vers la paix. »

Il y a donc, dans ces poésies d’intimité, quelques chants de calme tendresse ; puis des poèmes de philosophie personnelle, comme ses trois vigoureux sonnets de Travail, Vie, Amour, ou les petites strophes frappantes de Confiance, et de A Mile with me ; l’Enfant dans le jardin est le retour du poète devenu homme au jardin de son enfance, et l’accueil de pureté qu’il y trouve. Le Vent de Chagrin rajeunit par un souffle de nature libre l’idée si vieille de la tendresse humaine que la douleur ravive. M. van Dyke a fait aussi quelques vers charmans sur ses enfans disparus (il eut la douleur de perdre trois fils encore enfans), des vers légers et souples comme les gestes imprécis de ces petits êtres. C’est une partie de cache-cache dans les bois, avec un petit garçon rieur, et la recherche anxieuse du père dont les appels n’obtiennent plus de réponse. C’est Dulcis Memoria, ou bien le Message, qui est un sourire d’enfant : « Le petit qui habile près de la maison d’où s’est envolé le mien est venu mettre dans ma main sa main de bébé, et il m’a regardé en souriant. L’enfant qui fut à moi avait dû lui confier ce message de tendresse… Les paroles les plus consolantes, les conseils des hommes les plus sages m’ont moins aidé à porter ma peine que les choses que j’ai lues dans ce tout petit sourire. » Il y a un joli sentiment dans l’Automne au jardin, un très vieux jardin où beaucoup d’existences humaines ont passé. Le poète qui s’y promène en les évoquant, et qui suit, entre les plates-bandes démodées, les sentiers patiens où ils ont appris à souffrir dans la solitude du chagrin, termine sa rêverie par ces mots : « Marchons ensemble dans le jardin, ô mon amie ! car ceux qui savent les souffrances des autres vies ne marchent jamais seuls. »