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ces grands poètes, les mois sont une nouvelle beauté ajoutée à l’idée qui vibre en eux et leur mouvement en augmente intensité. Pour parler seulement de ceux qui ont davantage conquis mon amitié et qui seront indéfiniment les modèles de tout poète de langue anglaise, les mots de Shelley sont des caresses, fuyans et comme impalpables, ou bien éclatans et lumineux, — et ses strophes, qui parfois glissent comme des reflets, sans secousse, sont ailleurs emportées dans une cadence haletante comme des rafales. Keats, plus humain, sait les mots et les mouvemens qui vibrent comme des sentimens secrets. Tennyson, celui à qui Henry van Dyke ressemble certainement le plus par la nature du talent et qui fut plus particulièrement son modèle, est infiniment musical ; il n’ignore aucune des ressources poétiques et les emploie sans effort. Et dans un poète absolument différent de ceux-là, un païen de la Renaissance italienne égaré dans les brumes anglaises, dans Swinburne, si extérieur toujours et si théâtral parfois, un souffle inlassable fait rejaillir les images les unes des autres, avec quelle ampleur et quelle abondance ! Auprès de ces poètes qui sont de beaux fleuves, la rivière poétique de M. van Dyke apparaît inégale, coupée de chutes, ou bien encombrée de rochers qui arrêtent sa course. Il arrive que le sens musical soit en défaut chez lui ; des mots de sécheresse sans vigueur coupent des vers de pur rêve ; et malgré la variété des rythmes, on sent comme une monotonie de mouvement et d’attitude. Je sais bien que c’est là seulement l’exception dans sa poésie. Elle a d’ordinaire des rythmes et des modulations très chantantes, — très adéquates au sujet, — surtout dans ses vers les plus récens. Mais des imperfections musicales en langue lyrique sont chose grave ; et si je trouve dans Music, inégal dans sa forme et qui vaut surtout par ses suggestions profondes, des pages où les mots se haussent au niveau de la chose louée et participent de sa puissance, j’y trouve aussi des accens qui la heurtent. Et je trouve dans Véra une uniformité de mouvement, une identité de modes poétiques qui nuisent à l’évocation successive et progressivement émouvante des domaines sonores.

Cependant la souplesse du « métier » poétique semble être obtenue avec beaucoup d’aisance par les poètes d’aujourd’hui. En Angleterre et en France tout au moins, les vers exquis de mélodies subtiles, les consonances harmonieuses et les chutes