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réclame. Le public, américain a un penchant pour cette critique et l’adopte aisément. Comme il a somme toute, peu de bons littérateurs et un désir immodéré d’en avoir d’excellens, il voue volontiers un culte facile à ses hommes de lettres. Dès qu’un homme a quelque talent, il devient l’enfant gâté du public qui achète cent mille de ses volumes comme nous en achetons dix mille des auteurs que nous aimons ; les revues lui font fête et les maisons d’éditions lui ouvrent à deux battans leurs portes dorées. « Heureux pays ! » songeront tout bas les jeunes littérateurs de nos sociétés encombrées de talens. Non. Pays où la médiocrité est une tentation. Une fois qu’un écrivain est arrivé au succès, la progression de son talent n’est pas nécessaire pour accroître ce succès : la production rapide, en art comme en littérature, est pleine d’attraits : et il faut être particulièrement artiste ou idéaliste pour ne pas se contenter du moindre effort.

En constatant une infériorité d’expression dans la poésie de M. van Dyke, je me demandais si elle venait d’une négligence de sa part ou de la prédominance d’une préoccupation autre ou supérieure. Je crois tout à fait à cette prédominance. Sans doute ce serait mal comprendre Henry van Dyke que de le croire capable d’un dédain de la forme qui ressemblerait à la vieille formule calviniste du « luxe haïssable. » Taine dit que Carlyle considérait que « dans une œuvre d’esprit, la forme est peu de chose et que sitôt qu’un homme a un sentiment profond, son livre est beau. » La manière de voir de M. van Dyke est très éloignée de cette conception, et les preuves en abondent dans ses livres ; son style est toujours soigné, souvent d’un grand charme, et n’a-t-il pas écrit d’ailleurs que « les mots sont des êtres vivans ? » et cependant, une idée plus haute que celle de l’art pur domine son œuvre, et je crois qu’il la mépriserait si elle était simplement jolie : il la veut chargée de signification. Pour lui, l’écrivain a selon l’expression si souvent employée par les critiques américains en parlant de leurs grands auteurs, « un message à porter : » message de paix, de joie, de courage, de réconfort, d’aspiration plus haute, presque tous ces écrivains avaient « quelque chose à dire » à leurs frères d’humanité. Et c’est ce sentiment de mission dont ils étaient pénétrés qui est en littérature le fondement de leur idéalisme.

Depuis le temps héroïque de la Mayflower et des Pères pèlerins jusqu’à l’époque de la littérature véritable, — 1840, — tout