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n’ait répondu à l’appel pathétique d’un cœur aussi fatalement empêché de se faire entendre ? Autour d’elle, toutes ses femmes recueilleront des hommages ; sa jeune sœur, à peine moins laide, et d’une insensibilité de statue, trouvera pour la servir des amis désintéressés : mais elle, la malheureuse Marie, avec les trésors de piété et d’amour que tous ses biographes impartiaux seront forcés de reconnaître en elle, n’obtiendra de la postérité que cette pitié dédaigneuse et indifférente, qui déjà, aux derniers jours de sa vie terrestre, lui apparaissait trop clairement dans les rares billets de son Philippe toujours adoré.


Elle avait adoré son futur mari dès avant de le voir, avant même d’avoir vu le portrait qui avait achevé de la conquérir. Rien de plus touchant, dans tout l’ouvragé de M. Hume, que les lettres où l’ambassadeur espagnol Renard rend compte à Charles-Quint de ses entretiens avec elle. Renard lui ayant parlé, à mots couverts, de la possibilité d’un mariage avec le jeune Infant, « elle se met à rire, non pas une fois, mais plusieurs, tout en le regardant d’une manière qui prouve que l’idée lui est très agréable. » L’ambassadeur, pour la tenter, rapporte le bruit des fiançailles de Philippe avec une princesse de Portugal : aussitôt la nouvelle reine se trouble, rougit, et puis insiste sur les inconvéniens d’un tel mariage, entre parens trop proches. Et comme ensuite Renard fait l’éloge « du bon sens, du jugement, et du sérieux précoces » de Philippe, voici qu’à son tour Marie lui affirme que jamais encore son cœur virginal n’a été effleuré d’une ombre de désir, — tant est fort, en elle, le besoin de s’unir intimement à lui !

Timide, déjà souffrante, et de plus en plus éprise de tranquillité, elle déploie une énergie digue de son père Henri VIII aussitôt qu’elle croit découvrir un obstacle au mariage rêvé. Elle tient tête à ses ministres, à son confesseur, à son peuple tout entier, qui d’ailleurs ne lui pardonnera jamais ce partage de son autorité avec un Espagnol. Mais les luttes qu’elle est contrainte de soutenir chaque jour, et son impatience de voir arriver son fiancé, et l’excès même de l’amour qu’elle ressent pour lui, ont pour effet de la vieillir et flétrir d’heure en heure ; et son ennemi, l’ambassadeur Noailles, se plaît à enregistrer l’inquiétude désolée qui se fit dans ses yeux. Pourvu au moins que Philippe, quand il viendra, ne soit pas trop déçu dans l’opinion qu’il s’est faite d’elle, et ne lui témoigne pas sa déception comme, jadis, le roi son père l’a témoignée à l’une de ses femmes ! Durant tous les jours qui précèdent sa première rencontre avec lui, son entourage la voit