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vers l’Ouest. On estime à plus de 40 000 le nombre de ruraux qui ont émigré de 1900 à 1905. N’y eût-il, sur ce nombre, que la moitié d’Allemands, la colonisation est un travail des Danaïdes[1].

Les dispositions de la loi permettent, aussi bien, d’exproprier un Allemand. Le gouvernement a déclaré à la Commission de la Chambre des seigneurs que l’on voulait atteindre les amis des Polonais. Où est la limite entre amis et ennemis des Polonais ? Cette pénible incertitude s’ajoutera aux autres causes d’émigration[2]. L’argument tiré de la population est assez singulier. Quand les statistiques accusaient une proportion supérieure de Polonais, on disait : Ces gens-là multiplient comme les lapins ; leur fécondité est dangereuse pour la patrie, il faut y porter remède. Mais la statistique de 1905 constate que la multiplication des Allemands l’emporte sur celle des Polonais, et l’on dit : Donc, il nous faut des terres pour les Allemands[3], — pour faire face aux besoins des nouveaux colons qui viennent dans l’Est. Jusqu’à quand ? demande le rapporteur de la Commission de la Chambre des seigneurs. D’une part, émigration de l’Est vers l’Ouest ; d’autre part afflux de colons vers l’Est. Cette loi peut donc être interprétée comme une lettre de congé donnée à l’ensemble des propriétaires de l’Est, lettre sans date et qui sera envoyée tantôt à l’un, tantôt à l’autre. Les 70 000 hectares répondent aux besoins de deux ans ; avec les terres achetées et encore disponibles, on a quatre ans de tranquillité en perspective. Après, la question se posera de nouveau. Ce motif sur lequel insiste la Commission de colonisation est une menace qui pèsera sur les provinces de l’Est tant qu’il y aura un hectare de terre à « coloniser[4]. »

Le projet ne contient aucune disposition pour fixer au sol les ouvriers agricoles. Ils émigrent sans esprit de retour et sont remplacés par des Polonais. Les agriculteurs allemands et les colons eux-mêmes sont obligés d’avoir recours à la main-d’œuvre polonaise. Pour retenir l’ouvrier, il faut lui faire entrevoir l’ascension sociale et l’y aider. A ce point de vue, on est

  1. Bericht der IX Kom., p. 7.
  2. W., p. 40.
  3. Chambre des députés, Sten. Ber., 30 novembre 1007, p. 129 (M. de Dziembowski-Pomian, polonais).
  4. Ber. der IX Kom., p. 12-13.