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avant de la mettre à la poste, j’ai renoncé à l’envoyer. Mais quoique je puisse me gouverner, je ne puis feindre, car je voulais ne pas vous parler de ce commencement de lettre. Mais au fait, vous n’avez pas pu douter en l’écrivant de mon étonnement en le lisant. Imaginez, moi vous écrivant ainsi et vous parlant d’un homme dont vous ne m’auriez jamais entendu prononcer le nom ! Je vous prie de répondre tout de suite à mes questions et de me savoir gré d’avoir bien voulu vous les faire. Il faut que je vous aime beaucoup, et surtout de tendresse ; vingt fois depuis trois jours, je me suis promis de ne plus vous écrire, et toujours mes larmes changeaient ma résolution, et tantôt ma raison plaidait pour et tantôt contre vous ; enfin, il vaut mieux peut-être prendre le parti que j’ai pris de parler ouvertement.

Je vous ai écrit il y a quinze jours ou trois semaines, j’en suis bien aise : dans ce moment-ci, je ne puis exprimer même ce que je sens et je sens beaucoup moins qu’alors d’amour pour vous ; je ne sais pourquoi, mais je suis toute racoquillée ; et puis si vous étiez inquiet pour moi, pourquoi ne pas m’écrire ? Est-ce si difficile ou si fatigant ? Je me suis beaucoup reproché d’avoir été si longtemps sans vous écrire. Je me demande si c’est que je ne vous aime pas assez, mais en bien examinant j’ai trouvé que, tous les matins et tous les soirs, je vous faisais des lettres dans ma tête ; mais comme je n’étais pas seule, quand il s’agissait d’écrire, je ne savais où me cacher. Pourtant je vaincs cela, car en ce moment deux personnes couchent dans ma chambre, et je ne veux plus être esclave de pareils accidens. Je sais bien que l’absence est une chose exécrable, et peut-être que si je vous voyais je n’éprouverais pas la sécheresse qui en ce moment m’empêche d’être heureuse en pensant à vous, car je crois bien que vous m’aimez ; ce que j’éprouve surtout, c’est le souhait de sauter quelques jours, quelques semaines pour ne pas sentir le malaise que j’éprouve à présent. Il me semble que toute explication vaudrait mieux, et quand j’examine, je ne puis dire au juste pourquoi ce malaise, ni qu’est-ce qui peut l’ôter ; pardonnez, cher, si tout cela vous fait peine, mais cela passera, j’espère, avec votre prochaine lettre. J’ai je ne sais quelle idée vague sur cette Mme de Condorcet qui m’est pénible, et je ne puis me souvenir quoi, ni comment, ni à quel sujet…