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tenaces, il n’a pas pu, pas su ou pas voulu résister. Plusieurs opérations chirurgicales l’ont amoindri considérablement. Le découpage a commencé par les colonies (1894), devenues un ministère à part. À la vérité, l’extension de notre domaine colonial justifiait cette mesure. Puis, avec moins d’à-propos, on a rattaché les troupes navales à la Guerre. Enfin, pour un motif resté impénétrable, la marine marchande a subi également une dissection complète ; on en a déposé les lambeaux de chair au ministère du Commerce et laissé le squelette dans les bureaux de la rue Royale. Que reste-t-il à la marine ? La flotte de guerre. C’est peu, et c’est beaucoup. L’administration de la flotte, avec, pour but suprême, son utilisation en vue du combat, réclame l’intime collaboration de nombreux services, un effort continu, des règles fixes, de la ténacité, de l’acharnement. Le ministère de la rue Royale possède-t-il ces règles et ces qualités ? On ne saurait le soutenir. Le manque d’esprit de suite, parfois le défaut d’orientation, créent une situation générale que les officiers traduisent en disant : « La marine n’est pas commandée. »

L’extrême mobilité des fonctions ministérielles a contribué à entretenir le flottement et l’incertitude. Le ministre en effet, grâce à son autorité excessive, j’allais dire absolue, exerce une influence très réelle sur la marche de l’ensemble. Juge en dernier ressort, il a carte blanche, non seulement pour réformer tel ou tel point, mais pour modifier profondément l’organisme naval, à l’aide de simples décrets. Rien ne limite ses décisions, pas même, pour les choses du métier, l’opinion des techniciens. Il préside le Conseil supérieur, en restant libre de considérer ses décisions comme non avenues. Il peut imposer son opinion personnelle en faveur des cuirassés, des croiseurs ou de la poussière navale. N’est-il pas responsable ? En France, le mot « responsabilité » jouit d’une respectueuse fascination, bien qu’il paraisse vide de sens, quand on l’applique au chef d’un département ministériel. Vit-on jamais un ministre frappé pour avoir pris une mesure inopportune ? En pratique, la responsabilité du ministre est fictive : elle n’a d’autre sanction que sa chute.

Le choix du personnage à investir de ces hautes fonctions a donc une importance primordiale. Après la guerre, on l’a pris d’abord dans le cadre naval ; mais bientôt le choix s’est porté de préférence sur l’élément civil, et l’amiral Besnard, dernier ministre technique (1898), semble avoir clos, pour un temps,