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nouvelles venues par l’Atlas, les tenait de seconde main et m’a dit qu’on lui avait particulièrement parlé des progrès d’Isabelle qui faisait l’étonnement de tout Bordeaux. Embrasse-la bien tendrement pour moi et ne doute pas de mon tendre et sincère attachement. »

Le désir qu’exprimait Moreau d’empêcher qu’à la chute de Bonaparte, la France ne fût victime des vengeances de l’étranger nous est encore révélé par Daschkoff, dans une lettre qu’il lui confia pour Romanzoff. « Ce grand homme de guerre, qui joint toutes les vertus d’un citoyen éclairé et fidèle à sa patrie, se considère comme celui qui doit sauver la France de sa ruine. »

Ainsi se trouve précisé, sous diverses formes, le but que poursuit Moreau. A y regarder sans parti pris, il faut bien reconnaître que la répugnance qu’il éprouverait à marcher à la tête des troupes étrangères, ainsi qu’il l’a déclaré à Bernadotte, son projet de former un corps de Français, recrutés parmi les prisonniers de Russie, l’espoir qu’il a conçu d’être un médiateur, ne permettent pas de l’accuser d’avoir voulu trahir les intérêts de son pays. Sa conduite, bien qu’elle témoigne d’une incompréhensible illusion, ne saurait, cependant, être interprétée comme un acte de trahison.

Quand il accède aux propositions du Tsar, il a reçu par Daschkoff des assurances formelles propres à rassurer son patriotisme. On lui a déclaré que l’intégrité de la France, rétablie dans ses frontières naturelles, sera respectée ; que les Français seront libres de se donner un gouvernement et un régime de leur choix ; il a foi dans la parole d’Alexandre qu’il sait plus désintéressé que ses alliés et assez puissant pour contenir leurs ambitions et leur cupidité, s’ils voulaient les exercer aux dépens du vaincu. Que le désir de se venger de Bonaparte entre pour une grande part dans les considérations qui le guident, il faudrait, pour le contester, lui supposer une âme héroïque et même surhumaine. Mais l’idée qui le domine est une idée de protection pour sa patrie. En se vengeant, il la délivrera d’un fléau et la préservera d’un démembrement.

Cependant, si l’on peut invoquer ces argumens en sa faveur, il en est d’autres qu’on y peut opposer et qui les affaiblissent. Les raisons que se donnait Moreau pour se justifier sont, à peu de chose près, celles que se donnaient les émigrés lorsqu’ils pactisaient avec l’étranger. Mais les émigrés étaient dans leur rôle.