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devons réparer les maux que nous avons faits afin qu’on ne se venge pas sur nous. »

Il en fut ainsi pendant les trois jours qu’il passa à Stralsund. Au moment où il allait en partir pour rejoindre à Prague l’empereur Alexandre, il vit apparaître à l’improviste son ancien aide de camp, le colonel Rapatel, que ce prince, en apprenant son arrivée par un émigré, le marquis de la Maisonfort, avait eu l’attention d’envoyer à sa rencontre et d’attacher à sa personne, sur la proposition de Bernadotte. Il y a lieu de croire que c’est par Rapatel qu’il apprit que son projet relatif aux prisonniers français n’avait pas été agréé, pour des causes qui, d’ailleurs, nous échappent. Peut-être avait-on prévu à Saint-Pétersbourg les périls que pouvait créer ce genre de recrutement. Peut-être aussi l’accueil fait par les soldats français à ces propositions avait-il découragé les émissaires et fait renoncer à des démarches ultérieures. Ce qui permet de le supposer, c’est que Rapatel, étant en route pour rejoindre Moreau, avouait, dans une lettre écrite de Berlin à Alexandre, que, si disposé qu’il fût à prendre le commandement d’un des corps, formés de prisonniers, il avait cru devoir refuser « sous des rapports de délicatesse » de se charger de ces formations. Ce refus d’un officier français de faire des ouvertures à ses compatriotes indiquait trop clairement la crainte d’un échec pour que des étrangers consentissent à s’y exposer.

Cette révélation de Rapatel dut être un gros crève-cœur pour Moreau. S’il l’eût prévue six semaines plus tôt, il n’aurait pas quitté l’Amérique. Maintenant, il était trop tard pour reculer. Il n’apparaît pas qu’il ait hésité à poursuivre sa marche, non avec l’espoir, comme on l’en accuse, d’obtenir le commandement général des armées alliées[1], mais avec le ferme dessein de se réduire, auprès du Tsar, au rôle de conseiller. Il ne voulait ni revêtir un uniforme étranger, ni montrer l’uniforme français dans les rangs russes.

Est-il vrai, comme on l’a prétendu, qu’il ait alors, ou un peu

  1. J’ai le regret d’être en désaccord sur ce point avec mon regretté et illustre ami, l’historien Albert Sorel, et le devoir, alors que, malheureusement, il n’est plus là pour me répondre, de me borner à constater ce désaccord. Dans le VIIIe volume de son ouvrage : l’Europe et la Révolution française (page 181), il dit que Moreau s’était flatté du commandement suprême des armées alliées. La correspondance intime du général ne permet pas de lui prêter cette intention ; loin d’en témoigner, elle la dément.