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Mais, des paroles qu’à tort ou à raison, on lui a attribuées, et toutes très vraisemblables, on doit conclure qu’il ne se faisait pas illusion sur son état. Au moment où il tombait sous son cheval, on l’avait entendu murmurer ce seul mot : « Mort ! » et après l’amputation, il dit à son aide de camp Rapatel :

— Je suis perdu ; mais il est glorieux de mourir pour une si belle cause.

Le surlendemain, l’empereur Alexandre, en envoyant de son quartier général d’Altenberg, à Bernadotte, le compte rendu de la bataille du 27, lui disait :

« Des considérations tenant à l’Autriche m’ont empêché de réaliser l’idée que Votre Altesse Royale m’avait elle-même suggérée relativement au commandement. Elle doit le regretter puisque cela m’a empêché de tirer des talens supérieurs du général Moreau le parti qui aurait été si utile au succès de la cause. Votre Altesse Royale sait combien j’ai toujours désiré d’avoir auprès de moi cet homme si estimable sous tous les rapports ; Elle pourra donc juger de toute l’étendue de la douleur que doit me causer l’horrible malheur que j’éprouve : un boulet de canon lui a enlevé, à côté de moi[1], les deux jambes. Il a supporté l’amputation avec le courage et le sang-froid qui caractérisent sa vie entière. Je ne perds pas tout espoir qu’on puisse lui sauver la vie. »

Au moment où Alexandre exprimait ces regrets, Moreau, qu’il n’avait cessé d’entourer de la plus tendre sollicitude, s’acheminait par des routes affreuses vers la petite ville de Laun, à la suite des armées alliées qui battaient en retraite. Le Tsar avait offert sa voiture pour le transporter ; mais l’état du blessé avait fait préférer un brancard que portaient des soldats qui se relayaient. Rapatel et Svinine cheminaient à cheval à côté de lui. Le colonel Orlof, aide de camp du Tsar, commandait l’escorte à laquelle avait été confiée la garde de Moreau. Pendant ce long trajet à

  1. Le 28 septembre, Joseph de Maistre, écho des versions de la mort de Moreau qui circulaient à Saint-Pétersbourg, écrivait à Blacas : « On a dit mille choses sur son compte, toutes parfaitement fausses, notamment qu’il avait été frappé à côté de l’Empereur. Cela n’est pas vrai ; ils étaient ensemble et marchaient à cheval. Arrivés le 15/27, avant le jour de la grande reconnaissance sur Dresde, au bord de je ne sais quel terrain marécageux, ils se séparèrent. L’Empereur alla en avant à cheval. Moreau mit pied à terre et prit une autre route pour examiner les choses par lui-même. C’est pendant cette reconnaissance qu’il fut frappé. » La lettre d’Alexandre à Bernadotte rectifie formellement cette affirmation.