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elle était entrée en relations avec la petite cour d’Hartwell et devait croire que, Louis XVIII remis en possession de sa couronne, elle serait l’objet de sa bienveillance. Quoique son mari ne se fût pas prononcé pour les Bourbons, le Roi inclinait à croire qu’il était mort rallié à sa cause et faisait bénéficier sa veuve de sa gratitude. Elle ne prit son parti d’un nouvel exil qu’à l’instigation de Rapatel, dont elle avait reçu une nouvelle lettre et de son frère, le colonel Hulot, qui se préparait lui-même à passer au service de la Russie. Le 12 octobre, elle remerciait le Tsar : « Oui, Sire, j’irai, puisque vous me le per- mettez, rendre hommage à vos vertus, partager le bonheur de vos peuples, et la nouvelle patrie que Votre Majesté veut bien m’offrir me sera d’autant plus chère que j’y trouverai les restes précieux d’un époux honoré de votre confiance. Il n’a pu vous donner que sa vie. »

Toutefois, en acceptant ainsi les offres du Tsar, elle désirait savoir sous quelle forme se traduiraient les avantages qu’elles indiquaient ; elle souhaitait aussi que ce fût Rapatel qui la conduisît en Russie et non Svinine qu’elle trouvait trop jeune, disait-elle à Lieven, pour servir de compagnon, pendant un si long voyage, à la jeune femme qu’elle était encore ; enfin, elle ne partirait qu’au printemps de 1814. Alexandre répondit à ces demandes avec la magnanimité qui lui était naturelle. Une somme de cent mille roubles était promise à Mme Moreau, ainsi qu’une pension annuelle de trente mille, qu’elle allât ou non en Russie[1]. Si elle y allait, Rapatel l’accompagnerait, et sa fille serait nommée demoiselle d’honneur de l’Impératrice.

On sait qu’elle renonça à partir. La mort de Rapatel, tué en 1814 au combat de La Fère-Champenoise[2], la privait de son compagnon de route, et ce fut une des causes qu’elle allégua pour retarder son départ. Puis, vint la Restauration qui réduisait à néant les raisons qu’elle avait eues de s’expatrier. Alexandre, qui était alors à Paris, approuva qu’elle ne quittât pas la France et s’offrit pour la recommander au Roi. Par son

  1. Deux ukases en date de février 1814 réalisèrent ces promesses.
  2. Il fut frappé au moment où il adjurait des soldats français de se prononcer pour les Bourbons. Comme son général, il succombait dans les rangs ennemis sous les coups de ses compatriotes. On raconte qu’au même moment, un de ses frères, le capitaine Rapatel, de l’armée française, fait prisonnier par les Russes sur le miême champ de bataille, ne sauva sa vie qu’en se nommant et en se réclamant de lui.