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On avait pu, dans les siècles précédens, successivement ou simultanément, connaître un gouvernement du roi, un gouvernement des nobles, un gouvernement des prêtres, avec des favoris, des favorites et des financiers, toutes gens qui avaient l’argent, s’élevant, parce qu’ils l’avaient ou pour l’avoir, au-dessus de ceux qui ne l’avaient pas ; mais personne n’avait l’idée de donner pour caractère distinctif à ce régime d’être le gouvernement du capital. Aristocratique, oui ; mais ploutocratique, ce n’était pas ce qui frappait les yeux ou les esprits, excepté pendant les dix-huit dernières années et sous la monarchie bourgeoise. Mais dix-huit années sont un bien court espace pour qu’en un pays d’un si long passé, on fût raisonnablement fondé à parler, comme si tout ce passé en eût été rempli, du « gouvernement du capital. » Pareillement il était excessif de prétendre établir tout d’un coup et tout de suite, sur les ruines qu’on venait de faire, mais où pourtant l’ancienne société ne disparaissait pas tout entière, « le gouvernement du travail. » Sans doute, à part quelques journées et quelques expériences un peu brusques, la transition de l’un à l’autre devait se faire plus doucement et par nuances moins contrastées, par empiétemens quotidiens, et non par envahissement subit, non pas en une loi ni en une fois, mais en des milliers de fois et en une centaine de lois.

Cependant, que, dès le 25 février, dès le lendemain de la chute de cette monarchie bourgeoise, fille et image des « classes moyennes, » la seconde République, à peine née, ait proclamé « le droit au travail ; » que, le même jour, elle ait tenu à « rendre aux ouvriers, auxquels il appartient, » le million qui allait échoir de la liste civile, alors que ce million ne leur appartenait point, en tout cas pas à eux seuls, mais à toute la nation, ou, en bonne comptabilité, à tous les contribuables ; et que, le 28, à défaut d’un ministère du Travail, elle ait institué une Commission du gouvernement pour les travailleurs, c’était l’annonce et le commencement de temps nouveaux. Après l’aristocratie et la bourgeoisie, le peuple, dans l’acception restreinte et particulière du mot. Par la grâce du nombre, le travail prenait dans l’Etat toute la place qu’il pouvait couvrir de l’alignement formidable de ses unités. Si ce n’était pas tout à fait le gouvernement du travail substitué au gouvernement du capital, c’était la prépotence d’une classe substituée à la prépondérance d’autres classes, et, en disant cela, on ne dit rien de trop. Quelque vingt