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n’est pas toujours parfaitement impartiale ni exempte de flagorneries envers le nombre, pourra, l’heure venue, lorsque le suffrage universel, blasé par la surenchère, exigera des mets plus pimentés et un plus rude alcool, succéder une législation contre le capital, puis, si le maître a faim et soif encore, contre la propriété. Notre système électif permet tout : rien n’y fait frein, rien n’enraye, ni n’arrête. La loi est la loi, et le nombre est le nombre. Le nombre fait la loi, et le travail, — le salariat, le prolétariat, la classe ouvrière, — est le nombre. Quand même, jour par jour, institution par institution, le nombre s’acharnerait ou s’amuserait à détruire la société, du fait qu’il est le nombre, la loi n’en serait pas moins la loi. Et c’est le fait que je veux mettre en pleine lumière, car c’est le fait qui domine tout.

Il peut n’être pas agréable, il peut n’être pas rassurant. Bien des motifs, qui ne sont pas tous bons, peuvent solliciter et précipiter à l’action ce souverain à millions de têtes, dont la souveraineté n’a même pas l’injuste et l’absurde pour limites. Les vieilles rancunes sont tenaces, et nos morts continuent longtemps de vivre en nous. On a dit de certains événemens de notre histoire contemporaine qu’ils étaient parmi nous comme la revanche de la révocation de l’édit de Nantes. On pourrait dire de plus d’une de nos lois quelles sont encore aujourd’hui faites contre les 240 000, et que c’est comme une revanche des vingt-neuf couches de la population, jadis privées du droit électoral, contre la trentième couche, celle des censitaires. Quoi qu’il en soit, l’inclination est visible, à se comporter envers ceux qui possèdent ainsi qu’envers des ennemis vaincus, à leur faire payer la guerre qu’on leur fait, ou les améliorations qu’on se promet de la victoire. L’attaque collectiviste serait plus brutale ; celle-ci, plus dissimulée et temporisante, n’est peut-être pas moins sûre. A la longue, elle ne serait certainement pas moins dangereuse. Au lieu de l’apoplexie, ce serait la paralysie, par insécurité, par sourde hostilité d’Etat. Le « capital » sent hostile la législation faite par l’État à l’avantage du « travail » pour capter le nombre, et il se rétracte. Qu’il ait lui-même autrefois abusé ou que l’on ait abusé en son nom ; que ses représentans à lui, ses législateurs à lui, aient trop négligé « le travail » en un temps où le nombre, politiquement, n’existait pas ; qu’ils l’aient voulu trop dépendant, trop assujetti, trop sous-jacent, cela, d’ailleurs, ne fait pas de doute. Mais, à présent, l’Etat est retourné. C’est une