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et qui séduit. On devine dans la prosternation de ses Birmans qui se traînent sur les coudes et les genoux, le front dans la poussière, non pas seulement un vain cérémonial d’étiquette, mais une adoration enthousiaste pour celui qu’ils suivront aveuglément quand il voudra renouveler les exploits d’Allomphra[1]. Et cependant, Myngoon est vieux ; il est usé par une réclusion volontaire de vingt ans en Cochinchine ; on peut donc comprendre quel était son prestige, voilà bientôt un demi-siècle, quand, âgé de vingt-trois ans, il apparaissait au peuple de Mandalé comme l’espoir du royaume et le rival de Kanoung Meng.

Tout d’abord, celui-ci sembla l’emporter. Mais l’opposition de la famille royale à ses projets belliqueux, les instances de ses amis, le souvenir du rôle qu’il avait joué dans le coup d’Etat de 1851[2], donnèrent à Kanoung Meng le désir de s’emparer du trône en supprimant tous les obstacles qui l’en séparaient Myngoon comprit bientôt qu’il fallait gagner de vitesse son perfide parent. Le patriotisme autant que le soin de sa sécurité, la rancune de multiples affronts, les mœurs du pays et du temps rendaient inévitable une solution violente du conflit. Elle fut résolue par le jeune prince, qu’un avertissement secret avait déjà prévenu de la conjuration qui se préparait. Il s’assura du concours de son frère Myngoon Din, à peine âgé de seize ans, de quelques fidèles dont le sort était lié au sien et, pour mieux se défendre, il décida de se transformer en agresseur audacieux.

Kanoung Meng avait fixé au 2 août 1866 l’exécution de son complot contre la famille royale. Les princes, mandés à la séance du Conseil des ministres, dont plusieurs étaient favorables aux desseins de l’Aengshée Min, devaient se trouver arrêtés en route par une échauffourée soigneusement préparée, séparés de leur escorte et massacrés. Un pareil sort était réservé au Roi dont le palais serait envahi par les représentans bien stylés des volontés populaires, qui offriraient alors le pouvoir à Kanoung-Meng. La farouche énergie de Myngoon fit échouer ces combinaisons. Au jour fixé, accompagné de son frère et d’une trentaine d’amis déguisés, armés de poignards cachés

  1. Allomphra, pauvre cultivateur, délivra la Birmanie du joug des Pégouans, conquit le Pégou et fonda la dernière dynastie birmane vers 1750.
  2. Le roi Padan Min avait été détrôné dans une révolution du palais. Son frère Min Doon qui s’était cloîtré dans une bonzerie en fut retiré par Kanoung Meng et proclamé roi.