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de Myngoon mettrait le désarroi dans la population déjà travaillée par les agens du représentant anglais. L’annexion réclamée par les Chambres de commerce pourrait s’effectuer sans peine, et l’importance du résultat justifiait la générosité apparente des offres faites aux princes birmans. Myngoon devina le piège qu’on lui tendait. Il s’emporta, jeta ses livres au vent, jura de ne jamais parler anglais, et ne songea plus qu’à s’échapper.

Ce refus était prévu. La discrète surveillance de naguère s’exerça, plus active ; l’hôtel des princes fut entouré d’espions qui se glissaient jusque dans leur personnel domestique ; des postes de soldats en gardèrent les abords, et Myngoon reçut même l’ordre de ne pas sortir seul dans la ville. Mais cet excès de précautions, en lui montrant la valeur qu’on attribuait à sa personne, le confirma dans ses projets de fuite immédiate. Les renseignemens que des amis fidèles réussirent à lui transmettre faisaient d’ailleurs de son départ une urgente nécessité. Min Doon était mort en octobre 1879, et sa fin avait été le signal de la plus sanglante révolution de palais dont l’histoire de Birmanie fasse mention. La troisième reine, Alayuan Dau, que la mort des deux premières et la faiblesse du souverain faisaient toute-puissante depuis 1876, voulait mettre sur le trône un roi qu’elle pourrait dominer pour continuer ses exactions. Grâce à ses intrigues, elle avait empêché le choix du successeur qui devait être Myngoon et que, suivant la coutume. Min Doon aurait dû désigner officiellement avant sa mort. Soutenue par un groupe de cliens dont l’intérêt lui assurait le dévouement, elle arracha au Conseil des ministres la proclamation de son gendre Thibau, fils adultérin de la neuvième reine et d’un bonze, que le vieux roi, dans son aveuglement, avait conservé à la Cour avec le rang de prince du sang. Malgré le scandale, l’intrigue d’Alayuan Dau réussit. Thibau, choisi comme successeur de Min Doon, supprima les protestations en faisant massacrer tous ses compétiteurs et leurs plus notables partisans. Soixante-sept personnes de la famille royale périrent ainsi en novembre et décembre ; l’événement fut si imprévu que le gouvernement indien ne fit rien pour empêcher l’hécatombe et ne put que recueillir les fugitifs.

Avec ces tristes nouvelles, les amis de Myngoon lui envoyaient des sommes considérables sous la forme de joyaux, pierres précieuses, ornemens et lingots d’or, pour lui permettre