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coolie était gardé en lieu sûr par un serviteur dévoué ; le prince endossait ses habits et, suivant son maître improvisé, s’embarquait avec lui sur le vapeur qui faisait le service du Gange. Quelques heures après, il descendait à Chandernagor, se mettait sous la protection de la France et demandait à l’administrateur français les moyens de continuer son voyage.

L’administrateur fut d’abord très embarrassé. En attendant les instructions qu’il avait réclamées à Pondichéry par télégraphe, il craignait de se compromettre par un acte d’initiative sévèrement jugé à Paris. Chandernagor, petite enclave en plein territoire indien, à 35 kilomètres de Calcutta, n’était d’ailleurs pas un asile sûr pour un prince fugitif, et les rapports de police y signalaient déjà la présence de personnalités douteuses. Le commissaire de Bénarès avait eu connaissance, en effet, de la fuite de Myngoon quatre jours après son départ, et les ordres du-vice-roi prescrivaient d’arrêter à tout prix le prétendant. Des agens déguisés se tenaient en permanence à la gare, sur les routes, dans la ville, et le prince qui les connaissait bien pouvait même les voir de sa fenêtre, observant les abords de sa maison ; enfin, deux chaloupes sur le Gange surveillaient les mouvemens du fleuve, prêtes à perquisitionner les bateaux suspects.

Myngoon n’avait donc fait qu’élargir sa prison. Mais le gouvernement français, malgré de pressantes réclamations, ne consentit pas à violer les lois de l’hospitalité en accordant l’expulsion du prétendant. On estimait à Paris que sa présence sur notre territoire pourrait nous être de quelque utilité, lorsqu’il faudrait résoudre le problème du partage de l’Indo-Chine, et déterminer les frontières communes après les annexions du Tonkin et de la Haute-Birmanie qu’on devinait imminentes. En vain le gouvernement anglais affirmait-il la droiture de ses intentions ; son insistance à s’opposer au retour dans son pays du prince Myngoon devenu le souverain légitime et qui pouvait seul y rétablir l’ordre par son prestige, son caractère et la foi monarchique des Birmans, démontrait bien l’astuce de la politique suivie par le vice-roi : la dépravation et la sanguinaire folie du roi Thibau plongeant le pays dans une anarchie préjudiciable aux intérêts européens, l’Angleterre devrait « intervenir au nom de l’humanité. » Ce prétexte a souvent servi et toujours avec le même résultat.

Cependant le temps s’écoulait. Depuis dix-huit mois, les rares