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du précieux colis, son dépôt dans une cabine retenue depuis la veille par l’intendant français du prétendant s’effectueraient sans éveiller (es soupçons. En pleine mer, Myngoon sortirait de sa caisse et pourrait désormais narguer les agens du gouvernement indien.

L’imprudence du prétendant devait seule empêcher le succès complet de ce plan audacieux. Le remorqueur qui transportait M. Larmit et le prince caché dans sa malle percée de petits trous pour la respiration[1], gêné dans sa marche par la nuit et par les innombrables embarcations qui sillonnaient le fleuve, se trouvait en retard sur l’horaire prévu. Tandis qu’il se frayait lentement un passage dans le port encombré, M. Larmit comprit qu’il ne pourrait atteindre à temps le Tigre dont les torrens de fumée aperçus au loin annonçaient le départ imminent. Sans hésiter, il fit accoster à quai son bateau, héla un fiacre, y fit charger la malle et donna l’ordre au cocher indien de le conduire promptement au courrier français. Le prince dans sa caisse ignorait le retard et la nécessité de cette modification à l’itinéraire d’abord adopté. Le bruit des roues sur le sol l’effraya ; il soupçonna que son guide allait le livrer aux autorités anglaises. À tout prix il voulut éviter au moins le ridicule d’une situation qu’il devinait critique, et cette préoccupation lui inspira une fâcheuse décision. À coups de pied, à coups de poing, il se démena si fort dans sa malle que le cocher terrorisé, abandonnant son équipage, s’enfuit éperdu. En vain M. Larmit s’efforça de calmer le malheureux Myngoon ; celui-ci ne voulut rien écouter. Après avoir accablé son protecteur d’injures et de reproches, il bondit hors de la caisse entr’ouverte et, franchissant à toutes jambes le cercle de curieux qui commençait à se former et que son apparition dispersa, il courut à l’aventure vers l’embarcadère des Messageries. Il y arriva par hasard au moment où le capitaine du Tigre donnait le signal du départ.

Sur le quai, dans la foule assez peu nombreuse d’ailleurs, qui malgré l’heure matinale assistait aux préparatifs du démarrage, le prince aperçut quelques physionomies bien connues ; c’étaient celles de cinq espions qu’il avait vus rôder pendant longtemps autour de sa maison de Bénarès et qu’il savait être spécialement chargés de surveiller tous les dix jours le courrier

  1. Myngoon a soigneusement conservé cette malle qu’il montre encore avec orgueil à ses visiteurs.