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dédaigneusement de dacoïts[1], et que leur désunion vouait à l’impuissance, il fallait un chef. Myngoon était le seul qui pouvait se mettre à leur tête comme un souverain légitime accepté par tous, et diriger avec intelligence et fermeté la lutte contre l’envahisseur.

Cependant, l’impossibilité dans laquelle il se trouvait d’affréter un bateau pour se faire conduire sur la côte d’Arrakan et de traverser presque seul cette province, anglaise depuis soixante ans, pour entrer dans le bassin de l’Irraouaddy, faisait toujours de Colombo un point de passage obligatoire. En réclamant son transfert à Saigon, le prince qui avait officiellement accepté les avantages et les restrictions de l’hospitalité française, espérait obtenir une résidence plus commode pour l’exécution de ses projets : par le Laos que les Siamois occupaient avec de faibles forces, ou par le Tonkin, l’accès des États chans birmans ne présentait pas de sérieuses difficultés. Mais le gouvernement français ne se hâtait pas de le satisfaire : l’envoi de Myngoon en Cochinchine pouvait paraître une provocation aux chauvins de Londres, de Rangoon et de Calcutta.

M. Richaud connaissait les ambitions du prince et s’était employé avec persévérance à les faire approuver ; il n’y réussit pas. La situation politique de la Haute Birmanie, désormais possession anglaise, obligeait à plus de prudence. Les gouverneurs de nos établissemens indiens, livrés à eux-mêmes, ne craignirent pas les responsabilités. Les souvenirs historiques les y encourageaient : ils rêvaient de donner à Pondichéry, dans les destinées des Allomphra, le même rôle que, grâce à l’évêque d’Adran, la ville avait joué un siècle plus tôt dans la fortune des Nguyên d’Annam. On peut donc admettre que leur officieux appui ne fut pas inutile à Myngoon dans ses nombreuses tentatives pour atteindre la Birmanie. Aux observations britanniques, le gouverneur pouvait faire une réponse indiscutable : les Anglais qui étaient plus intéressés que lui-même à garder chez eux le prétendant, n’avaient pas su empêcher sa fuite ; on ne devait donc pas s’étonner s’il réussissait à tromper la surveillance des Français.

Lorsqu’il fut décidé à s’enfuir, il mit dans l’exécution de son

  1. De même qu’au Tonkin nous appelions pirates les insurgés annamites ; mais de même qu’au Tonkin les dacoïts firent éprouver en détail d’énormes pertes aux conquérans.