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l’efficacité désirable, un front de 200 mètres, estiment que nos 23 batteries suffisent à battre un corps d’armée opposé. Or il est certain que l’étendue des fronts tend à s’accroître à mesure que l’armement devient plus puissant. De plus, l’artillerie adverse occupe généralement les crêtes, tandis que l’infanterie tient et défend, en avant, des points d’appui, bois, villages, tranchées, etc. ; il y a donc lieu de battre deux séries d’objectifs. En suivant le raisonnement précédent, on conclurait à la nécessité d’avoir une batterie par 100 mètres de front et, en supposant, pour le corps d’armée un développement de 6 kilomètres, ce qui est loin d’être exagéré, il faudrait 60 batteries par corps. Ce genre de mathématiques nous conduit à l’absurde. Pas plus avec 144 pièces qu’avec 92, on ne pourra battre efficacement et simultanément tous les objectifs et, quelles que soient les théories soutenues aujourd’hui, il y aura toujours lieu, dans la bataille, de limiter l’action à une partie du front sur laquelle on concentrera les feux. La concentration des moyens d’action pour briser les résistances s’impose aussi bien aujourd’hui qu’hier.

On dit aussi que 144 canons ne trouveront pas l’espace nécessaire à leur déploiement : « déjà, en 1870, les corps allemands n’ont pas toujours pu mettre en ligne leurs 84 ou 90 pièces, notamment le XIe corps à Wœrth. » Mais si nos adversaires avaient su profiter de la mobilité de l’arme pour la répartir suivant les nécessités du combat, ils auraient pu, à leur centre, utiliser au Ve corps toutes les pièces du XIe qui restèrent inactives et bien d’autres encore. De plus, aujourd’hui, grâce à ses méthodes de tir masqué, l’artillerie peut se mettre en batterie sur des emplacemens jadis inutilisables : elle peut aussi se disposer sur deux lignes l’une derrière l’autre ; enfin la poudre sans fumée lui permet de rétrécir son front, par exemple pour profiter d’un abri naturel peu étendu. La place ne manquera donc pas à une artillerie manœuvrière. Il faut compter aussi sur l’extension des fronts de combat, réalisable, même dans une guerre européenne : supposons, en effet, que sur nos vingt corps d’armée, nous en avons seize en première ligne, — c’est un maximum, si nous voulons manœuvrer ; — à raison de six kilomètres par corps, cela ferait un développement de 90 kilomètres ; il y en a plus de 250 de Mézières à Belfort.

L’augmentation de l’artillerie entraînerait de grandes difficultés de commandement. Ces difficultés sont toujours facilement