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à faire ses devoirs, lui cherchait les mots dans le dictionnaire, et du reste ne comptait pas : « Je l’ai vu mille fois dans les commencemens, rapporte Saint-Simon, lorsque j’allais jouer avec M. de Chartres[1]. » Petit à petit, l’abbé prit de l’importance. Il donna les leçons, et les donna « fort bien, » étant extrêmement intelligent et très instruit. De moralité, point, si l’on s’en rapporte à Saint-Simon, qui n’a jamais pu le souffrir ; ou à Torcy, qui le déclarait « sans la moindre ombre de probité, sans mœurs, connu pour tel des Français et des étrangers[2] » ; ou encore à d’Argenson, le plus violent des trois ; il croyait l’abbé Dubois capable de tous les crimes et coupable de plusieurs.

Ce sont de terribles accusateurs ; mais Dubois a aussi ses défenseurs. Sans parler de deux historiens récens[3], qui ont vu dans sa mauvaise réputation une injustice à réparer, il avait su se faire estimer de beaucoup d’honnêtes gens à la Cour de Louis XIV, soit qu’il le méritât en effet, soit qu’il trompât son monde. Sourches le disait « homme d’esprit, d’érudition et de bonnes mœurs[4]. » Fénelon s’était lié avec lui ; on lit dans une de ses lettres, du 14 octobre 1711 : « M. l’abbé Dubois… est mon ami depuis un grand nombre d’années[5]. » Il suffit de ces citations pour expliquer comment le petit sous-précepteur, protégé du chevalier de Lorraine, fut nommé précepteur par le Roi, en 1687, sans que Madame, si attentive au bien de ses enfans, y ait fait d’opposition.

Loin de s’en défier, elle lui donna toute sa confiance. Ses lettres à Dubois[6]sont tout à l’honneur de ce dernier. Madame s’y montre pleine de gratitude pour le bon et loyal serviteur qui se dévouait, elle le croyait du moins, à maintenir son fils dans le droit chemin : « Je voudrais trouver l’occasion de vous faire plaisir, lui écrivait-elle le 21 août 1691,… je le ferais de bon

  1. Mémoires, gr. édition in-8o, I, 64. L’abbé Dubois avait été nommé sous-précepteur le 15 juin 1683.
  2. Lettre du 4 mars 1720 au cardinal Gualterio. Cf. Wiesener, le Régent, l’abbé Dubois et les Anglais, I, 262-263.
  3. Wiesener, loc. cit. et le comte de Seilhac : l’abbé Dubois, premier ministre de Louis XV, Paris, 1862, 2 vol. in-8o.
  4. Mémoires. Du 24 décembre 1690.
  5. Lettre à Mme Roujaut, femme de l’intendant de Maubeuge. Cf. Seilhac, 1, 126, note.
  6. Elles sont conservées aux Archives de Chantilly. M. de Seilhac les a publiées loc. cit. Il y en a quarante-trois, dont quarante-deux du 19 mars 1691 au 25 octobre 1706 ; plus cinq lettres de Madame à son fils.