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cœur, pour vous marquer mon estime, la justice que je vous rends et la reconnaissance que je vous aide ce que vous faites auprès de mon fils, qui m’oblige aussi à avoir de l’amitié pour vous. » Dans la même lettre : « Avec la vertu et le bon esprit que vous avez… » Ces lignes donnent le ton général de la correspondance. Le précepteur y joue le rôle de confident d’une mère tourmentée, qui s’entend avec lui pour la direction de son fils. Survint le mariage forcé du Duc de Chartres avec l’une des bâtardes du Roi. L’abbé Dubois y prit une part active, mais Madame ne l’apprit que bien des années après.

Chacun sait quelle passion, et quelle ténacité, mit Louis XIV à « agrandir » démesurément ses bâtards. C’était une question d’orgueil, une façon de prouver qu’il était au-dessus des lois et des règles. Mme de Maintenon l’encourageait, à cause de ceux des bâtards qu’elle avait élevés et qu’elle aimait, et ces deux illustres dévots demeuraient convaincus que Dieu, au jour du jugement, comprendrait la différence, en matière de morale, entre un grand monarque et un autre mortel, duc et pair ou simple croquant. C’était faire à Dieu beaucoup d’honneur. Dans cette heureuse persuasion, et avec une parfaite insouciance de l’opinion publique, qui se montrait dure, le Roi avait marié deux de ses bâtardes[1]à deux princes du sang, et il destinait la troisième, Mlle de Blois[2], issue comme la seconde d’un double adultère, à son neveu le Duc de Chartres, le plus grand parti de France après lui-même et le Dauphin. Il n’ignorait pas à quelles difficultés il allait se heurter : « Monsieur, rapporte Saint-Simon, était infiniment attaché à tout ce qui était de sa grandeur, et… Madame était d’une nation qui abhorrait la bâtardise et les mésalliances, et d’un caractère à n’oser se promettre de lui faire jamais goûter ce mariage[3]. » Louis XIV était un prince rusé ; il s’y prit de loin.

Dans les premiers mois de 1688, — le Duc de Chartres avait treize ans, Mlle de Blois onze, — le Roi fit marché avec le

  1. Marie-Anne de Bourbon, dite Mademoiselle de Blois (1666-1739) et fille de Mme de La Vallière, épousa le 16 janvier 1680 Louis-Armand de Bourbon, prince de Conti. Veuve en 1685. — Louise-Françoise de Bourbon, dite Mademoiselle de Nantes (1673-1743) et fille de Mme de Montespan, épousa le 24 juillet 1685 Louis III, duc de Bourbon-Condé.
  2. Françoise-Marie de Bourbon, dite aussi Mademoiselle de Blois, née le 4 mai 1677, et fille de Mme de Montespan.
  3. Mémoires, éd. in-8, I, 60.