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pas la discuter ici, chacun peut faire appel à ses souvenirs. Nous nous contenterons de dire qu’un honnête homme, dans l’angoisse de sa conscience, peut être amené à mettre, accidentellement et provisoirement, un autre devoir au-dessus du devoir militaire, et que M. Clemenceau a été de cet avis. Il y a des intérêts sacrés qui priment tous les autres : si le colonel Picquart a pu croire qu’un de ces intérêts s’était imposé à lui il y a quelques années, l’amiral Germinet a pu croire à son tour qu’un autre, non moins impérieux, s’imposait à lui en ce moment. Lorsque M. Clemenceau a été pris directement à partie, il l’a été par M. Delcassé, dont l’interruption promettait un discours. Ce discours, qui sans doute aurait été piquant, n’est pas venu. Faut-il le regretter ? Rien n’aurait pu changer la détermination de la Chambre. Dès lors, le débat, en se prolongeant, aurait pu devenir de plus en plus personnel et violent, sans perdre son caractère un peu vain. La Chambre regrettait et désapprouvait la révocation de l’amiral Germinet ; mais sa grande majorité ne voulait pas renverser en ce moment le ministère : tout le secret est là.


Nous avons rendu compte, il y a quinze jours, des nouvelles manifestations qui s’étaient produites en Allemagne, à la suite des mouvemens d’opinion provoqués par l’interview de l’Empereur. Ces mouvemens, s’ils se prolongeaient, devaient, disions-nous, faire faire un pas à l’Allemagne dans la voie du parlementarisme, mais un pas encore timide et incertain, qui aurait besoin d’être suivi de beaucoup d’autres avant de conduire au terme d’une première étape. Ces prévisions se sont réalisées : rien n’a été fait jusqu’ici pour développer le contrôle du Reichstag sur la politique du gouvernement impérial. L’effervescence des premiers jours n’a pas tardé à s’apaiser, et il est même probable qu’un grand nombre de députés ont été à la fois étonnés et effrayés de l’audace qu’ils avaient eue d’attaquer l’Empereur en personne, et de dire qu’il fallait, toute affaire cessante, mettre une limite à ses pouvoirs. L’Empereur a fort bien compris la situation ; il s’est empressé de faire le nécessaire ; il adonné des promesses vagues ; il a approuvé le langage de M. de Bülow devant le Reichstag ; il a maintenu le chancelier à son poste et a déclaré qu’il lui conservait sa confiance. On sait comment le chancelier lui-même a interprété dans la Gazette de Cologne la note publiée par le Moniteur de l’Empire. La porte restait ouverte à une revision de la Constitution, mais à titre hypothétique et dans un avenir indéterminé : pour le moment, l’Empereur promettait de mettre un frein à l’exubérance de