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on s’est tourné alors du côté du parlement pour y assister aux interpellations annoncées. Elles ont été accompagnées de divers incidens qui pâlissent tous et s’effacent devant la manifestation qu’a provoquée le discours de M. Fortis. M. Fortis, ancien président du Conseil, n’a pas hésité à prendre à partie l’Autriche, l’alliée de l’Italie, et c’est précisément à ce titre qu’il lui a adressé les objurgations les plus véhémentes, car, a-t-il dit, les choses ne peuvent plus durer ainsi. Lorsque l’Italie est menacée, de quel côté l’est-elle ? Du côté de l’Autriche ! C’est de là que viennent toutes les atteintes portées à ses intérêts vitaux. — Eh bien ! s’est écrié l’orateur, il faut que cela cesse, sinon, chacun devra reprendre sa liberté : quoi qu’il arrive, je demande que le gouvernement arrête dès maintenant les dispositions nécessaires pour mettre l’Italie en mesure de se faire respecter. — On ne saurait croire quel enthousiasme a soulevé ce passage du discours de M. Fortis. Jamais orateur, même en Italie, n’a été l’objet d’une ovation pareille. C’était du délire ! M. Tittoni seul y a échappé : il est resté sur son banc, immobile et muet. Mais M. Giolitti, président du Conseil, s’est jeté sur M. Fortis pour lui serrer les mains avec effusion, et le ministre de la Marine l’a serré dans ses bras pour l’embrasser. Cependant, après avoir adressé à l’Autriche ces paroles pour le moins inquiétantes, à quoi M. Fortis a-t-il conclu ? À dissoudre la Triplice ? Non, à la respecter ; et c’est ce que M. Tittoni et M. Giolitti lui-même ont répété le lendemain qu’il fallait faire. M. Tittoni a confessé qu’n avait été le jouet de quelques illusions, tout en exprimant l’espoir que ses espérances se réaliseraient plus tard, si on savait être patient. En attendant, l’alliance avec l’Autriche doit être maintenue. Elle le sera donc, mais quelle singulière alliance ! Et combien boiteuse et mal assise ! L’éloquence de M. Fortis a éclairé le fond des cœurs d’une lumière très vive ; puis les cœurs se sont fermés, et on n’a plus entendu que la froide raison. L’Italie n’a-t-elle pas des volcans couverts de neige, dont les éruptions jettent l’épouvante, puis s’apaisent dans un calme trompeur ?

M. de Bülow a fait une allusion discrète à tout cela ; mais il a affirmé, avec une grande force de conviction, que l’intérêt de l’Italie était d’être alliée de l’Autriche. Il a évoqué une autorité respectée, celle de M. Nigra, parfait diplomate formé à l’école du grand Cavour et inspiré de son esprit. M. Nigra lui a dit un jour : « L’Italie ne peut être que l’alliée de l’Autriche, ou son ennemie. » Ici, qu’on nous permette de faire un retour sur nous-mêmes. Nous connaissons cette formule. On nous l’a quelquefois adressée, dans ces derniers temps,