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britanniques par voie de simple déclaration eussent disposé de l’Univers.

La réplique française à l’arrangement de mai 1894 mit fin à ces procédés. L’Angleterre était obligée ou de se découvrir ou de négocier. Elle prit le parti de négocier.


II

Depuis des siècles que la France et l’Angleterre travaillent ensemble au progrès de la civilisation, il semble que |es deux peuples devraient se bien connaître et se comprendre aisément. Il n’en est rien : le détroit oppose les esprits comme les rivages. La mer, qui unit d’habitude, disjoint ici. Pourtant, la similitude des origines, des idées, des intérêts, maintient, entre les deux rivaux, une habitude, une recherche de rapports cordiaux dont les alternatives créent un drame, parfois décevant, mais toujours animé.

La négociation anglo-française est l’épreuve suprême des diplomates et le gage le plus assuré d’une paix heureuse dans l’Univers : pour les hommes du métier, il est normal et, pour ainsi dire, fatal que Talleyrand ait achevé sa carrière à Londres Entre Londres et Paris, la conversation doit être constante, si elle est parfois laborieuse.

Le négociateur anglais est solide, d’aplomb et plein de sens ; il est extrêmement prudent et, visiblement, tenu de court par la chaîne du Foreign Office. La marche du négociateur français est plus capricieuse, parce qu’il cherche les raisons générales ; un idéalisme vague le tourmente assez inopportunément : le négociateur français veut convaincre, tandis que le négociateur anglais se contente de vaincre. Dans les pourparlers, des préliminaires, parfois verbeux d’un côté, parfois contraints et embarrassés de l’autre, sont souvent une cause de malentendus.

Les méthodes diffèrent et les langues plus encore. On ne s’imagine pas à quel point la dissemblance fondamentale des deux idiomes trouble le jeu. C’est la « catégorie verbale » qui n’est pas la même. Dans les traductions les mieux faites, les mots ne s’ajustent pas. Même quand les interlocuteurs savent les deux langues, leurs pensées ne se recouvrent pas toujours exactement. Les mots ne sonnent pas, aux oreilles différentes, le même son ; ils servent difficilement de monnaie d’échange.