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III

À quelles mains le vieux Roi passait-il ce sceptre pesant, il convient, pour s’en rendre compte, d’étudier d’un peu près la personne de celui que la haine politique des uns, la fidélité dynastique et la pitié des autres, ont peint sous des couleurs si violemment disparates, que l’on a peine à dégager, parmi tant de portraits divers, sa physionomie véritable.

Louis XVI n’était pas, à vingt ans, l’être épais, le « lourdaud, » la « masse inerte et mal taillée, » que contemplèrent avec stupeur les populations assemblées autour du carrosse de Varennes. Des témoignages autorisés le représentent, à l’époque de son avènement, sous un aspect plus sympathique. Le léger embonpoint qu’il tenait de son père, et qui le vieillissait un peu, lui donnait, assure-t-on, dans les cérémonies publiques, une certaine majesté précoce ; sur le trône, il avait « bon air. » Mais sa marche pesante, l’habitude, au repos, de « se dandiner d’un pied sur l’autre, » lui retiraient, quand il était debout, une partie de ces avantages. Son visage plein, au nez busqué, à la carnation colorée, n’avait « rien de désagréable, » n’était que les dents, mal rangées, ôtaient de la grâce au sourire. Ses yeux voilés de myope n’étaient pas sans douceur ; il s’en dégageait même parfois, quand il suivait sa pensée intérieure, un certain charme de mélancolie. Par malheur, sa timidité, en l’empêchant de regarder les gens en face et avec assurance, détruisait l’apparence de cette franchise qui était dans son cœur. Sa voix, sans être dure, était peu harmonieuse et passait, dès qu’il s’animait, du médium à l’aigu avec une rapidité discordante. Sa tenue était simple, et telle qu’elle eût convenu au plus obscur de ses sujets : un habit gris le matin, et, après la toilette, un uniforme brun ou bleu, de nuance toujours foncée, de drap uni, sans broderies ni dentelles ; une épée d’acier ou d’argent ; les cheveux arrangés sans art ; et quelquefois une négligence qui lui valait les semonces de la Reine, quand, au sortir de son atelier mécanique, il entrait chez sa femme, dépeigné, couvert de poussière, les mains noircies par le travail.

Ce penchant qu’il montrait pour les travaux manuels est ce qui, dès les premiers temps, lui a valu le plus d’attaques, et les attaques les plus injustes. « Hélas ! observait