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AU COUCHANT DE LA MONARCHIE.

Choiseul a fait empoisonner[1] ? » Ces calomnies, constamment répétées, avaient, sans le convaincre, fait impression sur l’âme pieusement filiale du prince, déterminé chez lui comme une répulsion instinctive.

D’Aiguillon avait l’avantage d’être, depuis quatre ans déjà, le chef réel du ministère, dirigeant à lui seul les départemens de la Guerre et des Affaires étrangères. Il n’avait pas manqué de mettre ce temps à profit, ayant, dit Besenval, « rempli Versailles de gens à lui et gagné tous les entours, de manière que rien ne pouvait se faire ni revenir au Roi que de son consentement. Il était d’autant plus sûr de réussir qu’il n’avait point de confident et que, par conséquent, il ne craignait aucune indiscrétion. Ceux qui le servaient lui étaient entièrement dévoués. » Il disposait, en outre, de l’appui du clergé, ou du moins du « parti dévot, » en haine du duc de Choiseul, qui avait chassé les jésuites ; et cet appui n’était pas négligeable à l’avènement d’un prince dont la piété sincère ne faisait de doute pour personne. En revanche, d’Aiguillon s’était montré, dans ces dernières années, l’inséparable ami et le soutien fidèle de Mme du Barry ; c’était de chez lui, comme on sait, que la comtesse était partie pour se rendre en exil. Or l’hostilité déclarée de Marie-Antoinette contre l’ex-favorite, — sans mentionner d’autres griefs d’un genre plus personnel, — devait faire craindre au duc de rencontrer de ce côté une opposition redoutable.


Une première question se posait : fallait-il conserver, du moins temporairement, les ministres en exercice ? Les derniers choix faits par Louis XV étaient sujets à la critique. C’étaient, avec d’Aiguillon, le chancelier de Maupeou, bête noire des vieux parlementaires, l’abbé Terray, contrôleur général, adroit mais décrié, — deux hommes sur lesquels il nous faudra prochainement revenir, — plus trois personnages secondaires, Bertin, directeur de l’Agriculture, suppléant-né de ses collègues empêchés ou absens, homme à tout faire et médiocre partout, Bourgeois de Boynes, ministre de la Marine, dont l’incapacité notoire excitait la risée de ses subordonnés, enfin le duc de La Vrillière, ministre de la Maison du Roi, esprit frivole et courtisan servi le, sans talens, sans savoir, sans vices et sans vertus.

  1. Mémoires du comte d’Allonville.