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qui revient sans cesse dans ses interminables harangues sur le Maroc, c’est que nous avons eu tort d’y aller ; c’est que, y étant allés, nous avons tort de demander une indemnité pour couvrir nos dépenses ; c’est enfin que nous devons évacuer au plus vite, sans nous préoccuper de ce qui pourra se passer derrière nous. Que nous ayons eu tort de nous engager au Maroc comme nous l’avons fait, nous le concéderions volontiers à M. Jaurès si son pacifisme outrancier ne tirait pas aussitôt de cette concession des conséquences qui ne sont plus les nôtres. Il semble oublier que le Maroc fait suite à notre grande colonie africaine, et que nous ne pouvons pas nous désintéresser de ce qui s’y passe. Nous ne pouvons pas surtout y accepter qu’une autre influence l’emporte sur la nôtre. Si l’influence qui nous menace est celle de l’Allemagne, notre préoccupation en devient plus vive, tandis que celle de M. Jaurès se dissipe tout à fait. Il croit effectivement, en toute sincérité, que l’Allemagne et la France sont faites pour s’entendre et pour s’aimer ; et, puisqu’il ne doute pas que l’Alsace-Lorraine ne soit entre elles un lien finalement destiné à les rapprocher l’une de l’autre et à les unir, il est tout naturel qu’il porte le même jugement sur le Maroc. M. Jaurès, qui a fait beaucoup de philosophie avant de faire de la politique, se plait à résoudre les antinomies les plus récalcitrantes. Ce n’est qu’un jeu pour lui. Sa phrase victorieuse ne connaît point d’obstacles. Elle passe sur tout à la manière d’un tourbillon. Seulement, la phrase ou le tourbillon, une fois passé, les obstacles restent ce qu’ils étaient auparavant, c’est-à-dire, quelquefois, insurmontables.

Qu’on ne nous accuse pas d’exagérer. M. Jaurès énumère dans son discours toutes les nations opprimées, l’Irlande, la Pologne, et il les montre prenant enfin le dessus et exerçant sur l’oppresseur une influence qui détermine ses propres destinées. C’est la justice immanente des choses, c’est la revanche du droit. Cette justice et cette revanche ne nous apparaissent pas jusqu’ici aussi triomphantes qu’à M. Jaurès ; mais si nous le lui faisions remarquer, il nous répondrait avec un sourire confiant qu’il a l’avenir pour lui. Au surplus, dit-il, « ce n’est pas seulement cela que je rêve, que nous rêvons pour l’Alsace : nous rêvons pour elle d’une Europe détendue, apaisée par la conciliation de la France et de l’Allemagne, par l’éveil et par la croissance des démocraties ; nous rêvons pour elle ce rôle admirable de conciliatrice, résumant dans son cœur et dans son esprit, comme elle l’a fait dans les parties les plus glorieuses de son glorieux passé, ce qu’il y a de plus noble dans la culture française, de plus noble