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dans la culture allemande, contribuant ainsi à rapprocher, à réconcilier les deux pays en effaçant de son propre cœur et de sa propre chair le vestige des chaînes et des attentats du passé. Ah ! oui, ce sera une grande chose quand ce grand cœur de l’Alsace, meurtri depuis des siècles, ravagé, secoué, ballotté d’un État à l’autre, d’une patrie à l’autre, pourra battre enfin d’une impulsion généreuse et ample dans les deux patries réconciliées ! »

Nous arrêtons là une citation qui pourrait être plus longue : elle suffit pour donner une idée des solutions oratoires de M. Jaurès. « Des mots ! Des mots ! » dirait Hamlet, et il est dur à nos cœurs d’entendre traiter avec des mots, dont le vrai sens échappe, cette cruelle question de l’Alsace-Lorraine qui reste toujours ouverte pour nous. Que veut donc M. Jaurès ? Que demande-t-il ? Que propose-t-il ? Nous ne l’aurions jamais su si M. le ministre des Affaires étrangères ne nous l’avait pas dit. M. Pichon a eu sans doute avec lui des conversations dans lesquelles il l’a amené à mieux préciser sa pensée, et cette pensée est que le gouvernement de la République devrait saisir tous les gouvernemens d’« une proposition d’arbitrage international total. » Quel rêve ! Quelle chimère ! Il a suffi à M. Pichon de rappeler ce qui s’est passé à la dernière conférence de La Haye pour crever les bulles de savon enflées et colorées par l’éloquence de M. Jaurès. A la conférence de La Haye, les plénipotentiaires français, dont le premier était M. Léon Bourgeois, ont proposé l’arbitrage obligatoire dans toutes les questions qui n’engageaient ni la dignité, ni l’honneur national. M. Jaurès voudrait sans doute qu’on allât plus loin et qu’on supprimât cette dernière réserve. La proposition française lui apparaît incomplète et timide. Soit ; mais telle qu’elle était, elle a été repoussée ; et par qui l’a-t-elle été ? Par l’Allemagne et ses deux alliés, l’Autriche et l’Italie. Nous ne blâmons en cela ni l’Italie, ni l’Autriche, ni l’Allemagne ; nous croyons avec elles que l’arbitrage obligatoire est un non-sens et un leurre ; mais, après avoir repoussé à La Haye la proposition française, si restreinte qu’elle fût, comment ne repousseraient-elles pas celle où se complaît en ce moment l’imagination de M. Jaurès ? Ces effusions lyriques n’ont rien de commun avec les réalités et, si nous ne devions quelques ménagemens au talent de M, Jaurès, nous traiterions avec la sévérité et la pitié qu’ils méritent les égaremens de sa rhétorique. Ils avaient d’ailleurs emporté la Chambre bien loin de la question du Maroc. Heureusement d’autres orateurs l’y ont ramenée : nous voulons parler de M. Jules Delafosse et de M. Denys Cochin.