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un homme probe et loyal, vertueux jusqu’à l’austérité, dévot jusqu’à la bigoterie, remplaçant par la fermeté, la conscience et l’application ce qui pouvait manquer du côté de l’esprit. Louis XV, qui l’estimait, lui avait jadis proposé une place de secrétaire d’Etat, que du Muy avait refusée, par une lettre qui fit grand bruit, alléguant son humeur sauvage et son ignorance de la Cour : « A mon âge, terminait-il, on ne change point sa manière de vivre. Mon caractère inflexible transformerait bientôt en blâme et en haine ce cri favorable dont Votre Majesté a la bonté de s’apercevoir. On me ferait perdre ses bonnes grâces, et j’en serais inconsolable. » Ces objections tombèrent à l’appel de Louis XVI. Il consentit à se charger d’une besogne épineuse, et, si une mort prématurée n’eût arrêté brusquement sa carrière, il est à croire qu’il eût déployé les talens d’un administrateur habile, sage sans génie et utile sans éclat.

Plus important par la durée comme par l’étendue des services fut le ministère de Vergennes, auquel échut le portefeuille des Affaires étrangères ; nous retrouverons son nom en bien des pages de cette histoire. Fils d’un magistrat dijonnais, Charles Gravier, comte de Vergennes, comptait, lorsqu’il arriva au pouvoir, trente-quatre ans de diplomatie. M. de Chavigny, son parent, réputé sous Louis XV par le succès de ses différentes ambassades, l’avait formé de bonne heure à la politique, avait essayé ses talens en plusieurs missions délicates, à Lisbonne, à Trêves, à Hanovre. Partout l’élève avait fait honneur à son maître, et nul ne s’étonna de le voir nommer par le Roi, à l’âge de trente-huit ans, ambassadeur à Constantinople, en remplacement de M. des Alleurs. Il resta treize ans dans ce poste, en des circonstances difficiles, où il fit preuve d’adresse, de clairvoyance et de courage. Quelle fut plus tard, en l’an 1768, la véritable cause de sa querelle avec Choiseul, ministre des Affaires étrangères, c’est une question qui demeure incertaine ; le prétexte fut son mariage et le prétendu discrédit que cette union jetait sur l’envoyé du Roi.

Ce mariage du comte de Vergennes fut la source de tant d’attaques dirigées contre lui au début de son ministère, qu’il est bon d’éclaircir ce qui, parmi tant de versions, paraît être la vérité. Les bruits répandus à Versailles représentaient la comtesse de Vergennes comme une vile créature, longtemps courtisane de métier, et ramassée par son amant dans les bouges de