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estimée des savans. » Il est surtout enchanté de trois vers qui, en effet, ont eu une grande fortune :


Et je vis l’ombre d’un cocher
Qui, tenant l’ombre d’une brosse,
Nettoyait l’ombre d’un carrosse.


Il déclare du reste consciencieusement, et l’on ne saurait être trop exact en choses de cette importance, que la « pensée » au moins de ces vers appartient à Nicolas, le docteur en Sorbonne. Habent sua fata versiculi. Ces vers, qui sont couramment attribués à Scarron, sont signés Charles Perrault et sont de Perrault le théologien.

Après ces juvenilia, Charles Perrault fit son droit et alla passer ses licences à Orléans en juillet 1651. Il avait quitté le burlesque. C’est une erreur. Jamais il n’y fut davantage. Arrivés à Orléans, lui et quelques autres étudians, vers le milieu de la nuit, il prit caprice à ces jeunes gens de passer incontinent leur examen. Ils réveillèrent le portier de la Faculté qui, connu leur désir, leur demanda si leur argent était prêt, et sur réponse affirmative, alla réveiller trois docteurs. Ceux-ci vinrent, leur bonnet carré sur leur bonnet de nuit, et à la lueur d’une chandelle interrogèrent les jeunes gens. Ceux-ci répondirent au hasard. Les trois docteurs assurèrent que depuis deux ans ils n’avaient pas interrogé candidats si habiles ni qui en sussent autant. Le lendemain les trois licenciés reprenaient le chemin de Paris. Ceci doit être intitulé la licence nocturne.

Charles Perrault était avocat ; il plaida. Ai-je besoin de dire que, de son aveu même, il plaida admirablement ? « Je plaidai deux causes avec assez de succès, non point parce que je les gagnai toutes les deux, car le gain ou la perte d’une cause viennent rarement de la part de l’avocat ; mais parce que ceux qui m’entendirent témoignèrent être fort contens, surtout les juges ; car ayant été les saluer sur la fin de l’audience, ils me tirent des caresses extraordinaires et surtout M. Daubray, lieutenant civil, père de la malheureuse Mme de Brinvilliers. »

Charles pourtant ne persévéra pas. Ses frères le « dégoûtèrent » de la profession d’avocat, l’exemple surtout de son frère aîné qui, comme on sait, réussissait très médiocrement : « Il valait beaucoup, mais il ne se faisait pas valoir. Je crus qu’il en serait de même pour moi… » Charles se trompe entièrement :