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l’Allemagne plus qu’elle ne lui vendra[1]. La panique est à son comble au moment où Edwin Williams jette son fameux cri d’alarme : « Made in Germany ! » et où il décrit, avec une verve pittoresque, l’invasion des articles allemands, prélude de l’invasion des casques à pointe. L’année 1897 est particulièrement brillante pour le commerce allemand ; les consuls anglais redoublent leurs avertissemens ; l’un d’eux écrit d’Allemagne : « Tout marque l’énorme progrès économique accompli par l’Allemagne durant ces vingt-cinq années ; tout traduit au dehors le gigantesque effort de ce pays pour arriver à la tête du mouvement industriel et évincer tous ses rivaux. »

La lutte des deux peuples, vers cette époque, est devenue, de part et d’autre, pleinement consciente ; c’est l’Allemand que tout bon Anglais regarde maintenant comme son ennemi, c’est lui qui menace sa fortune et sa vie ; les discours de M. Joseph Chamberlain, sa campagne en faveur d’une union douanière de l’Angleterre avec ses colonies, ses exagérations de politicien, font pénétrer dans tout le Royaume-Uni l’idée d’un péril germanique imminent. En Allemagne, les harangues de l’Empereur, la propagande de la Ligue navale, familiarisent le public avec l’idée de l’expansion maritime et l’habituent à considérer l’Anglais comme le seul adversaire qui lui reste à abattre pour exercer l’hégémonie matérielle et morale du monde civilisé. De commerciale qu’elle était, la rivalité devient nationale ; elle dégénère en une hostilité générale, en une défiance universelle qui dénature jusqu’aux intentions conciliatrices des souverains et des hommes d’Etat. Chacun des deux peuples se jette dans la lutte avec son tempérament : l’Anglais froidement passionné, avec des crises d’angoisses collectives où l’agitation et l’inquiétude générales gagnent jusqu’au gouvernement, et, dans la pratique, tenace, persévérant, mais opportuniste, prompt, quand il en sent la nécessité, à jeter du lest et à sacrifier des intérêts secondaires pour assurer des résultats capitaux ; — l’Allemand discipliné, fier de ses succès nationaux, adroit, actif, insinuant en affaires, avec des allures indiscrètes de maître partout chez soi, qui exaspèrent le flegme correct du gentleman britannique, une façon agressive de faire sonner la force et les victoires de

  1. En 1903, pour la première fois, ce fait s’est réalisé : l’Angleterre a acheté et vendu à l’Allemagne pour une somme sensiblement égale : 34 millions de livres sterling.